Champ libre

Gordon Sheppard ou l’art de bien mourir de Francine Pelletier

Par Clémentine Nogrel le 2011/10
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Champ libre

Gordon Sheppard ou l’art de bien mourir de Francine Pelletier

Par Clémentine Nogrel le 2011/10

Dans le documentaire Gordon Sheppard ou l’art de bien mourir, la réalisatrice québécoise Francine Pelletier accompagne l’artiste canadien anglophone, Gordon Sheppard, vers une mort attendue. En 2006, Gordon Sheppard meurt des suites d’un cancer de la prostate, après 10 ans de traitement. Francine Pelletier a rencontré l’artiste durant sa dernière année afin d’offrir au monde le fruit de ses multiples entretiens avec lui, à la fois bouleversants et remplis de sens. Et si la mort permettait de comprendre le sens de la vie? C’est avec force et humanité que la réalisatrice accède à l’homme qui dépasse l’artiste.

Gordon Sheppard était en quête de reconnaissance. Grand cinéaste, photographe, et écrivain, il ne se satisfaisait pas de ses compétences. Longtemps perçu comme un artiste en marge de la société, il préfère penser que c’est cette même société qui n’a pas voulu de lui. Conséquence légitime, Gordon Sheppard a soutenu des artistes tels que le Québécois Hubert Aquin, lui aussi qualifié de marginal. Dans son livre Ha!, Sheppard essaye de comprendre le suicide de cet artiste troublé.

Et c’est là que se trouve la force de ce documentaire : Gordon Sheppard souhaite honorer sa fin. Il est parti avec la possibilité d’être reconnu au travers de sa plus grande œuvre, celle de sa mort. Ce n’est plus la déception mais l’espoir qui accompagne le condamné. On retrouve chez d’autres artistes cet ultime désir de reconnaissance. Ainsi, en 1869, au moment de mourir, le musicien Hector Berlioz laisse échapper une dernière phrase : « Ah! Quel talent je vais avoir demain! Enfin, on va maintenant jouer ma musique! »

Gordon Sheppard ou l’art de bien mourir propose un regard multiple sur l’artiste, depuis les premiers instants de la maladie, jusqu’aux pleurs d’Africa, sa fille, un an après sa mort. Les aller-retour dans le temps permettent d’apaiser ce documentaire intense. Il s’agit avant tout d’un homme qui comprend la mort en discutant de sa vie. Nous plongeons dans les images d’archives retraçant la jeunesse de l’artiste, pour ensuite découvrir Eliza’s Horoscope, le long métrage qu’il a écrit et réalisé en 1975. Les personnages azimutés d’Eliza’s Horoscope sont rapidement remplacés par le visage pâle de l’homme au bout de la vie, éclairé par les néons de l’hôpital central de Montréal.

Gordon Sheppard n’est plus l’homme charmeur empreint d’un soupçon de narcissisme. Il devient un homme qui apprend à se connaître lui-même. Cet homme vit de toutes ses forces, jusqu’au moment où il ne décide plus, où son pouvoir de vivre lui est retiré. Tel est l’enjeu de la maturité de l’être humain. Dans l’univers de Gordon Sheppard, la mort est un aboutissement. Ce documentaire n’est pas seulement un film biographique, c’est la preuve que la mort peut transformer la vie en œuvre d’art.

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