Le temps était à la fête le 21 mai dernier à la chaleureuse Vieille École de Saint-André–de-Kamouraska pour accueillir une quarantaine de marcheurs du Moratoire d’une génération sur l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste. Des bourgots frais,du jus d’églantier, des musiciens et des discours enflammés. Comme de nombreuses personnalités publiques et de nombreux citoyens l’auront fait tout au long du parcours, Gervais Darisse, maire de Saint-André, a dénoncé le fait que des permis d’exploitation couvrant tout le territoire continental de la municipalité ont été délivrés à une multinationale australienne sans que le conseil municipal n’en soit informé. Armand Vaillancourt, artisan de la Vieille École, a quant à lui encouragé les marcheurs à continuer de s’indigner.
La grande marche citoyenne pour le Moratoire d’une génération s’est mise en route à Rimouski, le 16 mai dernier.
Deux des marcheurs impliqués de près dans l’organisation, Philippe Duhamel et Marie-Neige Besner, ont partagé avec Le Mouton NOIR leurs impressions à la fin de leur première semaine de marche.
Nathalie Landreville – Quelle est votre impression générale après une semaine de marche?
Philippe Duhamel – Un bonheur indescriptible parce qu’on a vraiment l’impression de vivre un projet rêvé et ça dépasse nos attentes. Je m’attendais à quelque chose de bien, mais j’avais aussi beaucoup de peurs parce tout cela a été organisé en deux mois. Sans tant de coopération par tant de gens aussi rapidement, ça aurait pu être une opération suicide. […] Mais à chaque endroit, l’hébergement se matérialise, les repas se font et une soirée s’organise. Et par exemple ce soir, le miracle opère : les gens sont au rendez-vous, l’esprit se développe, des liens se créent.
N. L. – Même si le nombre de participants est encore modeste, c’est l’esprit qui vous ravit?
P. D. – On travaille dans un esprit stratégique et on voit d’ores et déjà comment la marche, c’est l’étape sur laquelle on va pouvoir bâtir. Les liens personnels qui se créent à travers la marche, c’est durable, ce n’est pas de l’éphémère, c’est des gens qui après une expérience comme ce soir « sèment » – dans les deux acceptions du phonème. On sait aussi que le problème du gaz ne sera pas réglé à la fin de la marche. Quand le téléphone sonne, il m’arrive de m’imaginer que c’est M. Charest qui appelle. Chaque fois, je suis déçu, mais je suis de plus en plus résigné au fait qu’il ne nous contactera pas durant cette marche-ci pour nous annoncer un moratoire de vingt ans.
N. L. – Il y a donc une vision à long terme?
P. D. – De deux ou trois ans. À terme, on risque d’avoir recours à toutes sortes de moyens qui se déploient sur le terrain, des moyens politiques. C’est clair qu’il faut que les partis d’opposition prennent des positions en accord avec les principes du Moratoire d’une génération. Par exemple, la fracturation hydraulique, cette technologie de casser de la roche par pression, ça ne marche pas. Il faut qu’on se le dise, comme en France. Il faut vingt ans avant qu’on touche aux hydrocarbures ou au nucléaire.
N. L. – Pourquoi vingt ans?
P. D. – À l’heure actuelle, notre civilisation est incapable de penser plus loin que cinq ans. On a signé des traités avec les peuples autochtones leur promettant des droits pour l’éternité qu’on n’a même pas respectés pendant une génération. L’idée, c’est de dire : allons vers un horizon qui est compréhensible dans notre culture et laissons à nos enfants le soin de décider. S’engager plus loin que ça, ce n’est pas vrai que ça tient.
Marie-Neige Besner – Un puits de gaz de schiste a une durée de vie moyenne de dix-huit ans. C’est donc la période sur laquelle on pourrait mieux évaluer les impacts de l’hydrofracturation.
P. D. – De plus, en raison du réchauffement climatique, la question des hydrocarbures va se poser de façon autrement plus aiguë dans vingt ans que maintenant. Que la décision revienne à ceux qui souffriront de notre consommation actuelle des hydrocarbures, c’est la moindre des choses. On ne va pas tout consommer jusqu’au gaz de schiste et au nucléaire si vite? C’est l’idée de rentrer un peu dans le sevrage, dans la réduction forcée de notre consommation. Qu’on démantèle Gentilly et que les percées soient du côté de la réduction de la consommation et de la coefficience.
N. L. – Pourquoi avoir choisi le moyen de la marche?
P. D. – En fait, on a tellement un grand territoire au Québec que peu de personnes connaissent la réalité des régions. Plusieurs n’ont jamais vu le fleuve et toute la beauté qui est à préserver. […] Il faut apprendre à aimer le territoire. Comment veux-tu bien défendre le territoire si tu ne le connais pas?
N. L. – Entendez-vous des commentaires sur le territoire pendant la marche?
M.-N. B. – Il y a du monde de partout parmi les marcheurs, des liens se créent. Aussi en traversant plein de villages, on rencontre souvent des gens qui ont peu entendu parler des gaz de schiste. Comme on fait un défilé et une soirée lorsqu’on s’arrête, les citoyens sont appelés à participer et une solidarité se crée avec les gens des régions qui vivent activement les problèmes des gaz de schiste.
P. D. – C’est aussi une vague de sensibilisation et de pré-mobilisation. Il faut premièrement détruire le mythe qu’on est en période de moratoire. Deuxièmement, en allant comme ça de place en place, on dit : on va revenir dans deux ans pour organiser la résistance citoyenne et des actions de désobéissance civile si le gouvernement n’a pas adopté un véritable moratoire. Traverser le territoire de bout en bout, c’est donc réunir des forces vives et dire : à terme, on se met ensemble pour faire un pacte de défense du territoire et, là où ils forent, on va tous être là.
N. L. – Avez-vous vraiment l’impression de vivre un moment charnière? Qu’il y aura tout un mouvement qui va découler de la marche?
P. D. – Oui, les gens vont dire : les gaz de schiste, non. Pas ça, pas maintenant.
N. L. – Philippe, de toutes les actions auxquelles tu as participé, as-tu vraiment l’impression que c’est la plus importante?
P. D. – Oui, je sens vraiment un moment historique. Les sables bitumineux, ça m’écoeure depuis longtemps, mais on n’en a pas au Québec. Là, je sens une ligne de fracture entre deux visions du monde qui ne sont pas réconciliables et nous avons la possibilité de nous mobiliser pour défendre notre vision de l’avenir. En ce sens, nos adversaires nous offrent parfois l’occasion de créer ce qu’on veut. Quelquefois, ça prend quelqu’un qui teste ta patience pour découvrir ta façon de t’affirmer.
Entrevue réalisée à Saint-André-de-Kamouraska, le 21 mai 2011.