Champ libre

Redécouvrir l’Amérique

Par Xavier Martel le 2011/07
Champ libre

Redécouvrir l’Amérique

Par Xavier Martel le 2011/07

Cette semaine, j’ai lu. Chez moi, dans les cafés, en marchant dans les rues et les ruelles, au lit, j’ai bouffé un livre. Ni un livre de cuisine ni un roman : plutôt un mélange d’histoire et de littérature. Plus précisément, un recueil de récits absolument palpitants qui mettent en scène des femmes fonceuses aux vies extraordinaires. Je suis parti avec elles dans les forêts de la Nouvelle-France, je les ai accompagnées de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique, en passant par Saint-Louis. Entouré de coureurs des bois, d’Amérindiens, de Métis, j’ai foulé l’Amérique au grand complet, empruntant le sentier de la guerre contre « l’Histoire avec une grande hache », comme le disait Perec.

C’est en effet aux nombreux oublis de l’épopée officielle des vainqueurs que s’attaquent les 442 pages de ce livre de Serge Bouchard et de sa compagne, Marie-Christine Lévesque. Études de personnages hauts en couleur, recueil d’anecdotes glanées dans la petite histoire, Elles ont fait l’Amérique est un ouvrage mariant la précision historique et les envolées littéraires. Ce mélange d’érudition et d’imagination transporte le lecteur au cœur de la nature aride mais époustouflante de l’Amérique du Nord. Au gré des chapitres, nous rencontrons des personnages épris de liberté, curieux comme des enfants et orgueilleux comme nous ne savons plus l’être. Shanadithit, la dernière Béothuk, qui permit de conserver la mémoire de son peuple ; Mina Benson Hubbard, qui fut la première, au début du XXe siècle, à traverser le Labrador jusqu’à la baie d’Ungava, ramenant au passage une carte de l’est du Labrador qui servit jusqu’à l’avènement des cartes aériennes vers 1930 ; Marie Iowa Dorion, une Siouse iowa, qui, en 1811, prit part, avec ses deux enfants et son célèbre mari, Pierre Dorion, à l’expédition ayant relié Saint-Louis à la côte du Pacifique. Cette dernière trouva le courage, en plein hiver et en territoire hostile, après avoir constaté que les hommes de l’équipée, dont son mari, avaient été tués par les Shoshones, d’atteindre, seule avec ses deux enfants, la ville la plus proche, Astoria, située à mille milles. En rencontrant ces femmes douées d’une force peu commune, on arrive à imaginer la vie réelle des habitants de cette Amérique mythique. Grâce à leur folie et à leur démesure, un continent a progressivement été mis à nu, exploré, fouillé.

Le texte foisonne d’informations sur les époques allant de la découverte de l’Amérique jusqu’au milieu du XXe siècle. Des anecdotes éclairent notre compréhension de l’histoire. Celle-ci, par exemple : la dénomination « Peaux-Rouges » serait le produit de la rencontre des premiers Amérindiens avec lesquels les Blancs entrèrent en contact, ici les Béothuks, qui « s’enduisaient le visage, les bras, les jambes, le corps entier d’ocre rouge – même leurs canots, leurs pagaies, et même les squelettes retrouvés dans leurs tombes étaient rouges ».

Ce premier tome des Remarquables oubliés peut être rapproché du Né à Québec… Louis Jolliet d’Alain Grand-bois. Ces deux ouvrages, séparés par 78 ans, ont en commun de proposer une lecture de l’histoire dont les obscurités sont éclairées par l’imagination. Autrement dit, l’érudition historique s’allie à une langue claire et écumeuse comme les rapides de nos rivières pour livrer une vérité plus subjective, mais sûrement plus proche de la réalité que celle que les manuels d’histoire proposent. Plus près de nous, Elles ont fait l’Amérique peut se comparer à La route de l’Ouest de Richard Hétu, publié chez VLB en 2002, qui narre l’expédition de Lewis et Clark en 1804. En effet, les deux ouvrages ne se contentent pas de raconter les exploits des Blancs, mais reconnaissent aux coureurs des bois et aux Amérindiens leur rôle prédominant dans l’aboutissement des expéditions, dans la « découverte » des territoires. On comprend aussi, par de telles lectures, que le grand territoire américain était essentiellement habité par les Amérindiens et les Canadiens français, qui fricotaient ensemble depuis les débuts de la colonisation ; ensemble, ils allaient former le peuple métis, dont la langue commune serait le français.

Il faut par ailleurs mentionner que le titre ment un peu sur le contenu des récits : en plus de faire la part belle aux aventurières, les récits racontent aussi les exploits des hommes engagés dans la découverte du continent. Quant à la présentation matérielle du livre, elle est remarquable. Il aurait fallu un index des nombreux noms cités pour que le tout soit impeccable, mais les magnifiques illustrations de Francis Back, auquel nous devons également celles du livre de Georges Hébert-Germain, Les coureurs des bois, nous font presque oublier l’absence de cet outil.

Partager l'article

Voir l'article précédent

La saison estivale en art actuel dans l’Est

Voir l'article suivant

La commotion électorale