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La commotion électorale

Par Frédéric Deschenaux le 2011/07
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La commotion électorale

Par Frédéric Deschenaux le 2011/07

Les dictionnaires médicaux caractérisent la commotion comme un « [v]iolent ébranlement de l’organisme, provoqué par un choc direct ou indirect engendrant une série de troubles fonctionnels, sans lésion organique apparente1 ». La rencontre aussi brutale qu’inopinée de Max Pacioretty avec une tige métallique à l’extrémité du banc des joueurs du Canadien, fortement encouragée il faut le dire par Zedno Chara, a littéralement impulsé une réflexion collective sur un type particulier de commotion : la commotion cérébrale.

Mais si les chercheurs et les autorités sportives se penchent de plus en plus sur les coups portés à la tête dans le sport professionnel et amateur, que sait-on sur les conséquences des coups vicieux en politique ? Il est de notoriété publique que les joueurs de hockey, de nos jours, ne cherchent pas seulement à mettre en échec leurs adversaires pour leur ravir la rondelle : ils veulent leur faire mal, les atteindre dans les profondeurs de leur être autant qu’à la surface de leur enveloppe corporelle. Cela dit, Stephen Harper n’entretenait-il pas des desseins similaires avant les élections, lui qui s’était juré de réduire à néant les libéraux fédéraux ? À la Chambre des communes comme au cercle de mise au jeu, tous les coups sont désormais permis. Pas étonnant que la démocratie ait des bleus.

Soulignons que lors d’un choc sévère, il arrive que le cerveau se déplace ou soit balloté à l’intérieur de la boîte crânienne, heurtant même parfois les parois osseuses de celle-ci. Les symptômes les plus fréquents associés aux commotions cérébrales sont la perte de conscience, les nausées, les vertiges, la confusion, le manque de coordination, l’irritabilité, la vue de lumières vives ou d’étoiles, les pertes de mémoire, une sensation d’hébétude.

Peut-on nier la violence que représentent les résultats des dernières élections fédérales ? Qui, le soir des élections, les yeux rivés sur les résultats, n’a pas senti son cerveau se déplacer vigoureusement de la gauche vers la droite ? Qui ne s’est pas senti faiblir devant la perspective de quatre longues années de gouvernement conservateur majoritaire ? Qui n’a pas dû réprimer un haut-le-cœur en pensant à la réélection de Maxime Bernier ou de Bev Oda ? Qui n’a pas ressenti un quelconque ébranlement dans son organisme – surtout si celui-ci est sans but lucratif, à vocation culturelle ou sociale – en pensant aux coupes draconiennes qui nous attendent dans les programmes fédéraux ? Combien d’entre nous ont eu une saute d’humeur en apprenant la nomination obscènement rapide au Sénat de quelques candidats défaits ? Par ailleurs, sommes-nous les seuls à avoir constaté que le Parti libéral du Canada éprouve certaines difficultés de coordination depuis quelque temps ?

Comment oublier, au surplus, l’air hébété des candidats bloquistes et néo-démocrates, les premiers devant une défaite crève-cœur, les autres d’avoir gagné en jouant à la roulette à Las Vegas. Le soir du Grand Verdict, s’adressant à des assemblées stupéfiées, Michael Ignatieff et Gilles Duceppe laissaient quant à eux l’impression d’avoir heurté une série de « poteaux ». Lorsque le chef a répondu « quatre » à son conseiller qui lui montrait sa main en lui demandant « combien de doigts ? », il ne croyait pas que celui-ci ne faisait en réalité que lui indiquer le nombre de candidats du Bloc élus…

En regard des événements récents, il convient donc d’ajouter les pathologies suivantes à la liste des troubles fonctionnels occasionnés par la commotion cérébrale : l’envie irrépressible d’appuyer l’équipe nationale de foot néerlandaise, fantasmer sur des amphithéâtres construits sans appel d’offres et financés en quasi-totalité par les fonds publics, voter NPD au fédéral et ADQ au provincial, croire que le Canadien avait les joueurs pour gagner la coupe Stanley cette année, oublier complètement la question nationale, tenter de mordre les doigts de ses adversaires ou pire, de ses alliés, par exemple en démissionnant de son propre caucus.

Et le plus sournois avec les commotions cérébrales, c’est que les symptômes se manifestent souvent à retardement. En bons universitaires que nous sommes, nous dirons qu’il faudra sans doute bien des sondages, ces sortes de tests par résonance magnétique de la société, pour mesurer toute l’ampleur du traumatisme. Pour l’instant, les explications de la conjoncture politique actuelle restent fragmentaires. Affirmer, par exemple, que l’appui massif au NPD est attribuable à la volonté de changement des Québécois ou à la personnalité attachante de Jack Layton, c’est comme dire que le jeu robuste de l’« inaccessible étoile » des ours bruns de Boston est attribuable au fait qu’il soit un « gros bonhomme »… Il s’agit là d’une condition nécessaire, mais non suffisante !

Les esprits malicieux diront que les hockeyeurs et les politiciens, de tous les travailleurs, sont parmi ceux qui ont le moins à perdre de ce genre de « blessures au haut du corps », leur capital de départ en matière cérébrale étant somme toute assez faible. À ce propos, si vous croisez un politicien aux idées claires, qui semble dire la vérité et agir pour le bien commun, méfiez-vous : il est probablement victime d’un nouvel effet de la commotion électorale.

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Note :

1. Voir L. Manuila, A. Manuila, P. Lewalle et M. Nicoulin, Dictionnaire médical, Paris, Masson, 9e édition, 2002.

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