Sur une route de terre qui serpente dans l’étendue de la forêt du nord, un truck avance vers le point du jour. Dans l’habitacle, un travailleur du bois s’allume une cigarette. Lentement, le jour se lève. La radio est éteinte, le silence qui émane du petit matin occupe tout l’espace. Ça prend du temps avant qu’une voix se fasse entendre. La route sans asphalte mène aux « chantiers » de débroussaillage. Ici, ce ne sont pas les antennes satellites qu’on voit dans les airs, mais les sommets des épinettes, innombrables. Puis, des hommes débarquent du camion avec leur équipement et cheminent dans la forêt, hors des sentiers battus, en levant haut les jambes. Leur travail consiste à débroussailler une superficie de terrain dans le but d’amener quelques arbres à maturité. L’un des hommes compare son métier avec l’entretien d’un jardin. L’image est forte et rappelle la célèbre phrase de Voltaire. D’ailleurs, les hommes admettront plus loin, sur un ton de franchise désarmante, que ce travail a amené un certain calme dans le tumulte de leur vie, comme quoi le fait de « cultiver son jardin » peut être entendu dans plusieurs sens.
Les hommes qui travaillent dans ce milieu sont les François Paradis et les Jos Montferrand du XXIe siècle. Ils parcourent la forêt boréale québécoise et apprennent à la laisser entrer en eux. Les principaux personnages que nous rencontrerons sont des « fros ». Ce nom est une déformation du mot anglais foreigners (« étrangers »). Ils sont d’origines diverses, et les raisons qui leur ont fait choisir ce métier ardu sont nombreuses. Gérard, un métis (Huron), a tenu un commerce, puis des bars, et se remet d’un cancer; Mamadou, un Malien extrêmement dur au travail, qui aime se comparer à Alexandre le Grand, était exaspéré de se faire exploiter par les manufactures qui emploient les immigrants à sept dollars l’heure; Antonie, le Roumain nerveux qui est venu au Canada dans un conteneur, a vécu comme un pacha en arrivant à Montréal, puis a décidé de travailler dans un milieu plus susceptible de le voir s’épanouir. Tous ces gars ont quitté une situation qui les faisait dépérir et ils ont trouvé un travail à leur mesure, mais pour combien de temps? En effet, nous apprenons de la bouche de Mamadou que depuis 2004, les contrats de débroussaillage ne sont plus si nombreux ni si lucratifs : le territoire à couvrir est passé de 15 000 hectares à 2 000 hectares.
Stéphanie Lanthier nous fait entrer dans les roulottes de ces travailleurs, sur leur lieu de travail et dans leurs pensées, qui sont livrées sur le ton de la confidence. Ils racontent leurs sources de motivation, les souvenirs de leur pays d’origine et leur perception du Québec d’aujourd’hui. La fraîcheur de la démarche a été de montrer les images d’un Québec sauvage avec des accents qui proviennent de diverses régions de la planète. La vision du monde qui en émerge est donc à la fois régionaliste et internationaliste. C’est aussi la forêt qu’est allée filmer la réalisatrice, d’immenses plans d’ensemble alliés à une guitare aérienne. C’est beau.
Ce film est produit par DOC Productions en coproduction avec l’Office national du film du Canada. Il sera présenté à la Coop Paradis (Rimouski), au Cinéma Paraloeil, le 16 mars, à 19 h 30.