
Assurément, les gens qui ont vécu les années cinquante ou, ceux un peu plus jeunes, les années soixante, se rappelleront de Séraphin, l’avare illustre des Belles histoires des pays d’en haut de Claude-Henri Grignon. Non seulement ont-ils lu le roman, ils ont entendu Séraphin à la radio, l’ont vu au cinéma et écouté à la télévision, mais aussi revu dans la bande dessinée qui paraissait au rythme d’une planche par mois dans Le bulletin des agriculteurs, une revue à laquelle la majorité des Québécois de l’époque était abonnée. Les belles histoires s’y retrouvèrent pendant deux décennies, de 1951 à 1970. Les éditions Les 400 coups, qui n’en sont pas à leur première publication en bandes dessinées, ont rassemblé sous la direction avisée de Michel Viau, historien émérite de la BD québécoise, l’ensemble de toutes les planches parues dans la revue. Même une planche inédite s’y ajoute, retrouvée par Viau dans les archives du dessinateur Albert Chartier1.
Chacune des 228 planches que comprend l’album est un contrepoint au roman, aux films et aux épisodes télévisés en présentant un contenu exclusif et inédit. Elles se développent en quelques cases et se dénouent sur une petite leçon de morale bien souvent désopilante, où Séraphin écope pour le prix de son avarice. L’album est captivant, tout autant pour les décors, l’expression des personnages et l’atmosphère bucolique de ces temps difficiles de la colonisation des pays d’en haut à la fin du XIXe siècle.
L’album superbement relié pleine toile plaira aux nostalgiques et à ceux qui découvriront un fameux personnage qui frappe fort l’imaginaire. Sachez qu’anciennement, il était d’usage que l’aîné d’une famille nombreuse se dénomme Séraphin. Mais cette pratique disparut dans les années quarante avec l’association de Séraphin à l’avarice vicieuse. Même le mot séraphin est passé au dictionnaire pour signifier un avare.
Dans la même veine qui nous fait retrouver le Québec de nos ancêtres, on ne peut passer sous silence l’extraordinaire série Magasin général de Loisel et Tripp dont le sixième tome vient de paraître. La série se déroule dans une paroisse fictive, Notre-Dame-des-Lacs, située non loin de Saint-Siméon. Marie se retrouve veuve et en charge du magasin général du village. Les événements la mèneront à Montréal où elle s’installe. Mais les villageois pestent suite à son absence. Ce sixième tome est un peu plus faible que les précédents au niveau du scénario, mais il est toujours aussi prodigieux pour le dessin, les couleurs et sa reconstitution irrésistible et attachante de cette période de l’entre-deux-guerres. Ce tome marque l’arrivée d’un nouveau personnage, Ernest Latulippe, qui saura sans doute intervenir dans le prochain tome qui va clore cette magnifique série.

Jean-Sébastien Bérubé, Radisson (tomes 1 et 2), Éditions Glénat.
Enfin, on ne saurait oublier la parution du second tome de Radisson du Rimouskois Jean-Sébastien Bérubé. Celui-ci y va d’une reconstitution éclatante et originale de la saga d’un personnage flamboyant, aventurier et rebelle, qui lui aussi a fait le bonheur des jeunes téléspectateurs des années soixante.
On aime se faire raconter des histoires, et elles plairont davantage si elles nous rappellent notre passé, surtout quand des artistes de qualité le font si parfaitement bien ressurgir, ne serait-ce que pour nous rasséréner, nous rassurer.
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Notes :
1. Albert Chartier est le créateur d’Onésime qu’on retrouvait également dans Le bulletin des agriculteurs. Il a influencé plusieurs bédéistes québécois, principalement Michel Rabagliati qui lui aussi y va d’anecdotes de la vie ordinaire qu’il sait rendre extraordinaires.