Depuis quelques semaines, l’Égypte vit une véritable révolution. Égyptiennes d’origine, Mochira Atallah, intervenante au Centre-femmes de Rimouski, et sa mère Maha partagent leur lecture des événements.
Véronique O’Leary – Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez appris les récents événements en Égypte ?
Mochira Atallah – J’ai été surprise, étonnée et soulagée de voir le peuple enfin se lever et prendre la parole pour demander le départ de Moubarak.
Maha Atallah – Au début, ça a été un choc, parce que nous ne savions pas comment allaient se dérouler les événements. Ensuite, ça a été le soulagement, et après la fierté. […] Ça faisait un bout de temps que le mouvement avait commencé sur les réseaux sociaux. L’année dernière, un jeune homme qui avait filmé indirectement de la corruption dans un poste de police a été traqué et battu à mort. […] Un cadre de Google, Waël Ghoneim, a créé une page Facebook pour dénoncer la violence policière. Les gens se sont mis à parler, à échanger ; la situation en Égypte est devenue rapidement un sujet vraiment chaud sur Facebook. […]
Mochira – Ce qui m’a le plus impressionné, c’est que cela se soit fait de façon pacifique. Qu’il y ait des millions de personnes qui manifestent et qu’il n’y ait pas d’actes de violence parmi les manifestants. Il y a eu environs 400 morts et 5 500 blessés. C’est un faible pourcentage des manifestants, et les blessures ont été causées par les partisans du pouvoir, la police et les criminels sortis de prison. C’est très rassurant, car c’est un peuple qui est fier et qui veut que ça change dans la paix. Une révolution aussi pacifique, c’est quelque chose. […]
V. O. – Y a-t-il beaucoup de femmes impliquées ?
Mochira – Énormément. J’étais très contente de voir les femmes dans la rue. […] Ce que j’espère, c’est qu’on va reconnaître l’implication des femmes dans cette révolution et qu’elles seront reconnues comme égales à l’homme par le nouveau régime. Ce qui serait dommage, c’est qu’on ait un gouvernement démocratique, mais que la femme n’ait pas encore tous ses droits. […]
Ce que je souhaite aussi pour les femmes, c’est qu’il y ait des services qui se mettent en place. En ce moment, une femme dont le mari ne veut plus est jetée à la rue. Il y a beaucoup de femmes divorcées, à la rue avec leurs enfants et qui ne savent pas où aller. Il n’y a pas de centres ou de maisons de femmes. […]
V. O. – Que pensez-vous des Frères musulmans et quelle est la place de la religion dans la société égyptienne ?
Maha – L’Égypte ne peut pas avoir un gouvernement religieux, ce n’est pas dans nos habitudes. […] L’intervention des Frères musulmans dans les récents événements n’a pas été reçue comme celle d’un groupe extérieur : tout le monde vit la même chose, ensemble, on a besoin de changer de régime, de se réapproprier l’Égypte. On a d’ailleurs vu les musulmans protégés les chrétiens et les chrétiens protéger les musulmans. […]
Mochira – Moi, ça m’inquiète : c’est facile de manipuler l’opinion publique en aidant les gens, en se montrant du côté du peuple. Dès qu’il est question de religion et de politique, je suis réticente. […]
Maha – Il est vrai qu’à cause de la pauvreté, les Frères musulmans commencent à avoir plus de prise dans la société égyptienne. Dans un contexte socioéconomique et politique difficile, ils aident beaucoup la population. C’est pourquoi plusieurs femmes et hommes sont attirés par la religion. […] Je crois qu’avec le changement de régime et une reprise économique, ça va changer. Les Frères musulmans attirent les gens par l’argent. Si la situation socioéconomique change, je ne pense pas que ça continue. Le peuple égyptien ne veut plus rien savoir des gens qui contrôlent leur vie, ni militaires, ni polices, ni religions. Le peuple veut une véritable démocratie. […]
V. O. – Depuis 2001, avez-vous observé des différences pour les femmes immigrantes arabes ?
Mochira – J’ai l’impression que la situation s’aggrave. Parfois, les gens ont tellement peur de perdre leur culture qu’ils deviennent plus sévères en arrivant ici. […] Dans les familles de mon père et de ma mère, il n’y a pas tant de femmes voilées. Il y avait déjà une plus grande liberté d’esprit. Je vois les photos de ma mère à 15, 18 et 20 ans, et ça n’a rien à voir avec l’Égypte d’aujourd’hui. Et je ne parle pas que de ma famille, c’était comme ça partout. […]
Mais aujourd’hui, on dirait que les gens sont beaucoup plus religieux qu’avant. Ils ne veulent pas changer et veulent même parfois imposer leur façon d’être. Les accommodements raisonnables sont souvent déraisonnables. En tant que musulmanes vivant au Québec, nous n’en revenons pas de tout ce que le gouvernement permet. Il faut arrêter : lorsque tu choisis de quitter ton pays pour aller dans un autre, il y a des sacrifices à faire. Il faut que tu adhères aux valeurs du pays. Je suis d’accord avec la liberté de religion, la liberté de penser, mais dans le respect mutuel. […]
Le débat autour du port de la burka, par exemple, ne devrait même pas avoir lieu. Nous sommes dans un pays de liberté où la femme a les mêmes droits que les hommes. L’objectif de se couvrir complètement, c’est d’être la plus discrète possible, qu’on ne te remarque pas. Ici, lorsque tu portes la burka, tout le monde te regarde. L’objectif premier n’est même pas atteint. Si tu viens au Québec, c’est parce que tu cherches la liberté, que tu espères que tes enfants vont avoir une meilleure vie. […]
V. O. – Quels sont les défis auxquels font face les nouveaux arrivants au Bas-Saint-Laurent ?
Mochira – La capacité à s’intégrer dépend en partie de la situation et aussi beaucoup de la personnalité de chacun, et de son ouverture sur le monde. Toutefois, il faut qu’il y ait une structure d’accueil. J’ai eu une fois un débat avec une copine qui disait : « Je suis Rimouskoise et je suis accueillante. Lorsque quelqu’un s’arrête dans la rue pour me poser une question, je réponds. » Ce n’est pas ça, être accueillant, c’est du savoir-vivre. Quand est-ce la dernière fois où tu es allée rencontrer ton nouveau voisin pour lui souhaiter la bienvenue, pour lui demander s’il avait besoin d’aide pour quelque chose ? C’est ce que j’entends par accueil.[…]
Pour les femmes immigrantes et réfugiées, il y a le programme d’accueil et d’accompagnement Passer’elles qui fonctionne à cent milles à l’heure. Je souhaite qu’il grossisse et soit offert ailleurs. C’est particulièrement difficile pour les femmes de s’intégrer parce qu’elles accompagnent souvent leur mari qui, lui, s’est trouvé un poste. Si elles ont des enfants et demeurent à la maison, elles seront encore plus isolées. Ça prenait un service pour les aider à sortir de l’isolement et à connaître les services qui existent pour les femmes en région, comme le Centre-femmes de Rimouski ou Accueil-maternité. C’est intéressant pour elles de savoir que tous ces organismes existent, et ça les aide énormément dans leur intégration. Il y a d’ailleurs plusieurs femmes de Passer’elles qui sont devenues membres de ces organismes. Je pense que ça permet aux femmes de mieux s’intégrer socialement et économiquement en région.
Une version longue de cette entrevue sera disponible en ligne très bientôt.