Sur plusieurs fronts, on entend parler de la montée de la droite dans la société. On suppose, dans ce contexte, que l’on réfère à la sphère politique ou économique. Mais, est-ce envisageable de concevoir une montée de la droite dans le monde de l’éducation?
La droite a toujours été liée au pouvoir politique en place. Comme l’éducation est un monde éminemment politique, il serait difficile de le croire complètement imperméable aux influences des pouvoirs politique et économique. Les travaux en sociologie ont d’ailleurs montré, dès les années 1960, que l’école est un instrument d’inculcation idéologique qui véhicule les valeurs de la classe dominante. Pourquoi serait-ce différent en 2010?
Je sens votre sourire en coin lorsque vous lisez « idéologie » et « classe dominante » dans la même phrase… Ah, les préjugés! Je vais tenter de vous démontrer que l’idéologie néo-libérale (qui n’est pas à gauche de l’échiquier politique) est bien présente dans notre système d’éducation.
Plusieurs analyses montrent que le monde de l’éducation a toujours été influencé par les pouvoirs politiques et économiques. Yves Lenoir amène l’idée que l’école québécoise est aujourd’hui « fortement intégrée à la logique anglophone nord-américaine, logique qui se fonde sur des orientations professionnalisantes, instrumentales et utilitaristes, qui se sont substituées à des orientations humanistes classiques d’origine européenne française 1 ». Dès 1966, des auteurs s’inquiètent de l’orientation que prendra le système d’enseignement, à savoir qu’il sera « la servante ou l’esclave des seuls intérêts économiques, si nécessaires et respectables soient-ils 2 ».
À la suite du Rapport Parent, le monde de l’éducation a été mobilisé afin que le Québec rattrape le retard économique qu’il avait pris par rapport aux autres provinces canadiennes. C’était l’époque du Qui s’instruit, s’enrichit, de l’instauration du régime de prêts et bourses et de la création de l’Université du Québec pour rendre les études supérieures plus accessibles. Depuis, l’idéal de l’égalité des chances a été remplacé par un « modèle de l’efficacité » presque calqué sur le modèle des entreprises, en valorisant notamment la notion de compétence 3.
Plusieurs déplorent une marchandisation de l’éducation où les institutions sont en compétition les unes par rapport aux autres pour attirer les « clientèles ». On perçoit cette conception mercantiliste dans le discours des politiciens, des acteurs économiques et même de certains recteurs. Sous prétexte que certaines formations coûtent plus cher, mais « rapportent » davantage pour ces diplômés, il faudrait moduler les frais de scolarité selon les programmes. Donc, puisque les uns s’achèteront un bien qui vaut plus, il serait normal de le leur faire payer plus cher! Si on offre les meilleures formations à ceux qui peuvent se les payer, que fait-on de l’égalité des chances?
Cette conception de l’éducation politiquement à droite toucherait-elle uniquement les études supérieures, fréquentées par des adultes capables de jugement critique et éclairé? Bien sûr que non.
Il faut lire le programme de formation de l’école québécoise pour s’en convaincre assez aisément. Pour l’enseignement primaire, on trouve un domaine général de formation qui s’intitule Orientation et entreprenariat. Voici ce que le ministère en dit (je me suis permis de souligner quelques passages en gras) : « [L’école] doit donc outiller adéquatement les élèves afin qu’ils puissent faire les choix qui s’imposeront à eux tout au long de leur vie en matière d’orientation professionnelle. Elle doit aussi contribuer à l’éclosion des qualités personnelles nécessaires à une pleine actualisation du potentiel de chacun. En tête de liste figurent la créativité, la confiance en soi, la ténacité et l’audace, qui caractérisent les entrepreneurs, mais il ne faut pas négliger non plus des qualités telles que la connaissance de soi, de ses intérêts et de ses aptitudes, la capacité de se situer face aux multiples avenues qu’offre le monde du travail et le sentiment de sa propre responsabilité à l’égard de ses succès, de ses échecs et de son avenir professionnel 4.»
N’oublions pas que le ministère parle d’enfants du primaire. On leur entre donc assez tôt dans la tête le principe de responsabilité individuelle, si cher à la droite. En fait, le système d’enseignement cherche dorénavant à légitimer sa contribution à la société non plus par la production de nouveaux savoirs ou par la formation des élèves, mais plutôt par la « rentabilité » et la valeur des savoirs dispensés dans l’économie. On est loin de la Païdea de la Grèce antique, qui désignait à la fois et indissociable-ment l’éducation, la culture et la civilisation.
Alors, êtes-vous convaincus? L’image de la grenouille immergée dans l’eau chaude me semble porteuse. À force d’y être plongée, la grenouille ne se rend pas compte que la température de l’eau monte, jusqu’à ce qu’elle meure ! Même chose en éducation. À force de toujours plier aux « impératifs » économiques, on finit par oublier la véritable mission de l’école que j’aime bien résumer par les mots de Condorcet qui souhaitait que l’école forme des citoyens « difficiles à gouverner ».
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Notes :
1. Yves Lenoir, « Le rapport Parent, point de départ de l’ancrage de l’école québécoise dans la logique anglophone nord-américaine », Revue canadienne de l’éducation, 28, 4, 2005, p. 638-668.
2. Jean-Marie Hamelin dans L’école et la société. L’éducation dans un Québec en évolution, Québec, Presses de l’Université Laval, 1966, p. 13-31.
3. Louis Levasseur, « La dérive instrumentale de la formation générale dans les collèges du Québec », Sociologie et société, vol. XXXII, no 1, 2000, p. 197-211.
4. Le programme de formation de l’école québécoise est disponible sur le site du ministère de l’Éducation, du loisir et du sport (www.mels.gouv.qc.ca).