Autour de certaines questions particulières, liées à la mise en branle de chantiers et de projets ayant une incidence directe sur l’environnement dans le Bas-du-Fleuve, les citoyens et citoyennes ont récemment pris position. Dans certains cas, ils ont lutté contre un projet, réussissant à le bloquer par une forte mobilisation populaire. Dans d’autres cas, ils ont obtenu gain de cause, partiellement ou totalement, en revendiquant des changements auprès des élus par les voies traditionnelles d’expression politique.
Afin d’établir des liens entre ces luttes, il est intéressant de se pencher sur les mobilisations qui ont mis au monde un rapport de force effectif avec les différentes instances du pouvoir. Deux cas concrets peuvent nous guider dans ce sens : le projet de mini-centrale sur la rivière Trois-Pistoles, toujours sur la table à ce jour avec la concession récente du terrain à la MRC des Basques (combat remporté, semblerait-il temporairement, par la population, les Amis de la Rivière et le collectif ARBRE1 en 2002), et l’opposition citoyenne à la construction du stationnement étagé à Rimouski, toujours active à l’heure actuelle (pétition du groupe Citoyens 21, prise de position pour le transport en commun du Poids vert et de Vroom Québec).
La participation citoyenne à ces luttes locales n’est peut-être pas le seul facteur qui a fait se rétracter les investisseurs ou les élus. Il est fort possible, en effet, que pour des raisons externes, telle que la fameuse « crise économique », les acteurs de ces projets, considérant la sacro-sainte loi du marché défavorable, aient mis en suspens leurs velléités.
C’est tout de même à ce niveau qu’il nous est possible de prendre parole, sans pour autant s’enfoncer dans la pensée stratégico-statistique propre aux politicailleries de corridors et aux poignées de mains furtives entre gestionnaires publics et investisseurs privés. Observons, donc, ces deux contextes de résistance, afin de voir la chair constituante de la participation citoyenne en matière environnementale.
Rivière Trois-Pistoles
Lorsqu’un groupe de citoyens se mobilise, que les voix s’unissent, l’enthousiasme mousse et attire le regard de l’opinion publique, ce qui suscite l’émergence de projets, de comités, de fondations… c’est, bref, ce qu’on appelle un « mouvement social ». C’est ce qui s’est passé autour du blocage du site de la rivière Trois-Pistoles en 2002. Les militants d’ARBRE ont monté la garde des mois durant, allant même jusqu’à se suspendre au-dessus de la rivière, ce qui a eu pour effet de mobiliser les forces et les voix citoyennes autour de cette lutte, menant aux conclusions que nous connaissons2 – le paiement de compensations aux investisseurs et le rachat du terrain par le gouvernement Landry.
Mais qu’est-ce qui est à l’origine d’une telle mobilisation autour d’enjeux environnementaux? Pour Sébastien Rioux, militant d’ARBRE, il est clair que c’est d’abord la campagne d’information et de mobilisation des militants écologistes et le travail acharné et déterminé de groupes de citoyens, tel que Les Amis de la Rivière, qui ont mené à cette prise de conscience. Selon lui, la mission des militants était de « faire sortir la vérité au grand jour, de faire passer un message et d’utiliser les bons mots au bon moment ». Cette mobilisation, rappelle-t-il, a fait prendre conscience des enjeux d’un tel projet à une population trop peu souvent consultée. La dénonciation de la part de groupes (comme la Fondation Rivières) et d’individus conscientisés, tout comme les coups d’éclat et les actions directes, ont posé les bases d’une participation populaire à la prise de décision entourant les questions qui touchent la communauté.
Bref, grâce à l’action politique, notamment celle d’ARBRE, est apparue une voix politique citoyenne, que les instances gouvernantes n’ont pas eu le choix de prendre en compte. Pour Sébastien Rioux, demain aura besoin de cette vigilance et de cette participation active au politique. C’est un peu cette pérennité en matière de luttes environnementalistes qu’assure maintenant l’ÉchoFête de Trois-Pistoles, née de cette ébullition et de la résistance au projet de mini-centrale. Rieur et bon joueur, il dit que nous pouvons « remercier le préfet Leblond [promoteur principal du projet] de son dynamisme, sans lequel l’ÉchoFête n’aurait jamais vu jour. »
L’ÉchoFête de Trois-Pistoles occupe une place de première importance dans la promotion de la lutte environnementaliste de la région (jardins communautaires, cours de cuisine végétarienne, etc.) et emploie à l’année quatre personnes. Cette présence permanente dans le paysage politique régional pourra vitaliser la participation citoyenne, traditionnellement plutôt en réaction aux décisions des élus, ou simplement muette. Une position affirmative de la part des citoyens semble effrayer les investisseurs. En effet, les acteurs financiers qui avaient manifesté leur intérêt quant au projet de centrale sur la Trois-Pistoles se sont rétractés suite à la vive réaction et au débat qu’a suscités l’article de Francoeur dans Le Devoir. À suivre donc…
Stationnement étagé
Le refus citoyen de la construction du stationnement étagé à Rimouski s’inscrit autrement dans la logique de résistance citoyenne. En effet, dans ce cas, la parole du citoyen et sa participation à la démocratie municipale font partie des objectifs du Plan d’action 2009 de l’administration Forest3. Les groupes et regroupements de citoyens qui s’opposent à la construction hâtive du stationnement souscrivent donc, en quelque sorte, aux orientations de la Ville en s’exprimant démocratiquement.
Or, on réalise, avec ce dossier, qu’on sollicite la parole citoyenne, dans le cadre institutionnel, quant à l’aménagement urbain dans un cadre bien précis. On veut que le citoyen ait l’impression de participer à la vie démocratique de sa municipalité. Il a ainsi le droit de proposer, mais non de refuser. La proposition d’ajouter des supports à vélos dans le stationnement aurait probablement mieux passé que son refus net (bien que le dossier reste à suivre). La contestation face au projet du stationnement étagé s’est faite jusqu’à ce jour de différentes façons, ce que le militant rimouskois Julien Boisvert appelle « la diversité des tactiques », pour lui seule avenue réelle de mobilisation citoyenne dans un contexte où les élus font mine de bonne foi quant à la participation démocratique des habitants. C’est, rappelle-t-il, ce qui s’est passé lors du débat qui a lieu sur la question du stationnement. Quand on consulte officiellement le citoyen, sa parole est prise en compte si elle propose ou cautionne la position des élus en place, limitant ainsi le droit de questionner et de s’opposer; le citoyen, ainsi, a le droit de choisir ce qu’il verra, pas ce qu’il ne verra pas. Le pouvoir du citoyen est celui d’un enfant dans son carré de sable : si à la question « où tu le veux, ton château de sable? », il répond « je le veux à côté du carré de sable » ou « je ne veux pas de château », on risque de lui répondre : « je crois que tu as mal compris la question : tu le veux où, ton château, penses-y, il sera permanent et te survivra probablement. »
Les deux mobilisations dont nous venons de parler posent la même question sous des angles différents : que le pouvoir politique fasse mine ou non de prêter l’oreille, de quoi naissent les mouvements citoyens, et d’où émergent leurs motivations? Qu’il s’agisse de l’action exemplaire des militants ou d’une diversité de tactiques et de discours, il demeure que le pouvoir politique doit plier quand les citoyens considèrent les lieux où ils demeurent et leur durée en ces lieux comme affirmativement politiques. C’est ce que nous démontre la mobilisation des habitants de Trois-Pistoles et de Rimouski, et c’est le défi auquel demain sera confronté.
_____
Notes:
1. Action Radicale pour le Bien des Rivière et de l’Environnement.
2. Voir Louis-Gilles Francoeur, « Relance d’une mini-centrale sur la Trois-Pistoles », Le Devoir, 19 mars 2009.
3. Selon le Plan d’action 2009 de la Ville de Rimouski : « Axe 1. Rimouski : une ville inclusive encourageant la participation citoyenne ».