Environnement

Crise de l’industrie forestière, avenir des territoires forestiers

Par François L'Italien le 2010/12
Environnement

Crise de l’industrie forestière, avenir des territoires forestiers

Par François L'Italien le 2010/12

Le monde forestier québécois traverse actuellement une importante période de transition essentiellement liée à la crise du modèle dominant d’exploitation forestière. Cette crise est double. D’abord, les stratégies « traditionnelles » de développement industriel de la forêt ont rencontré des limites structurelles, tant sur le plan écologique (ruptures de stock à répétition) qu’économique (faiblesse des marchés des produits forestiers à faible valeur ajoutée). Ensuite, la récurrence et l’intensité grandissante des crises du secteur forestier, couplées à la montée de préoccupations écologiques dans toutes les sphères de la société, ont mené à une crise de légitimité et de confiance envers le modèle dominant. Au Québec, cette période de transition est caractérisée par deux grandes tendances qui vont substantiellement modifier le paysage du monde forestier dans les prochaines années et qui offrent aux communautés forestières une formidable occasion de relance.

D’une part, un processus – timide, mais bien réel – de reterritorialisation des cadres de gestion de la forêt est en cours. Cela se constate d’abord au plan national, où le gouvernement du Québec a refondu les dispositions encadrant le régime forestier dans un sens qu’exprime assez bien l’intitulé de la nouvelle loi sur les forêts (Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier). Cette loi ne changera pas le monde, sauf qu’elle contient des dispositions pointant vers une certaine régionalisation du processus de gestion de la forêt, notamment dans les fonctions de planification et d’intégration des usages. La diversité des acteurs non industriels habitant le territoire forestier aura ainsi la possibilité de peser de plus en plus lourdement dans la définition des paramètres de la gestion de la forêt. Et les caractéristiques écologiques et économiques propres aux territoires forestiers auront un rôle croissant à jouer dans la conception des plans d’aménagement.

Ce processus de reterritorialisation se constate ensuite aux plans régional et local, dans la mesure où de plus en plus d’initiatives de réappropriation collective des massifs forestiers de proximité se font connaître et entendre. À la suite des fermetures définitives d’usines dans plusieurs communautés mono-industrielles, certaines d’entre elles ont élaboré des plans de diversification économique faisant de la forêt une ressource de coordination. Tout un patrimoine d’expériences socio-forestières novatrices les précède et les inspire. En mobilisant des leviers stratégiques régionaux et en imaginant de nouvelles formules de cogestion des lots forestiers de proximité, les pouvoirs locaux misent de plus en plus sur un développement économique endogène de leur territoire, ce qui permet d’assurer la vitalité de leurs communautés. À ce titre, le rôle des coopératives est appelé à se renforcer.

Par ailleurs, la forêt n’apparaît désormais plus comme un simple stock de matière ligneuse, mais davantage comme un patrimoine écologique, économique et socioculturel à entretenir et à valoriser. Les crises répétées d’une industrie forestière essentiellement axée sur l’exploitation et la commercialisation de produits faiblement transformés (les pâtes et papiers) ont contraint plusieurs communautés rurales dépendantes de cette industrie à miser sur la polyvalence des usages de la forêt qui génèrent des activités économiques diversifiées. En tenant compte des spécificités écologiques de la forêt québécoise, des PME tirent de cette dernière une gamme étendue de produits, souvent « de niche », qui sont voués à un bel avenir. Du récréotourisme aux poutres structurelles, des couronnes de Noël aux lambris de bois haut de gamme, les activités économiques liées à la forêt sont nombreuses et variées, et elles impliquent un rapport au territoire forestier qui tranche avec celui du modèle dominant. Même s’il est à prévoir que les activités « traditionnelles » d’exploitation forestière se maintiendront et que de grandes forestières continueront d’opérer, il est clair qu’elles devront composer avec des « concurrents » dont les succès d’affaires présents et à venir reposeront sur une mise en valeur des produits forestiers qui capitalisera sur une pluralité de débouchés.

En outre, la montée des préoccupations écologiques, indissociables d’une remise en cause du modèle productiviste de développement, entraîne une transformation de notre conception des « ressources naturelles » et de la forêt en particulier. Plutôt que de baser exclusivement les paramètres de l’aménagement et de l’exploitation forestière sur les caractéristiques des marchés, c’est davantage des caractéristiques des écosystèmes forestiers eux-mêmes qu’il faudra partir à l’avenir. Cette foresterie plus respectueuse de la richesse et de la fragilité de la biodiversité forestière exige déjà que l’on tienne à bonne distance les principes qui ont orienté jusqu’ici l’exploitation de la forêt québécoise, principes basés sur le temps court et la rentabilité financière. Or, la forêt, comme tout ce qui est vivant, détient sa propre temporalité, sa propre cyclicité qui ne peut être niée qu’au prix d’une dislocation encore plus grande des systèmes écologiques et économiques qui la constituent. C’est pour cette raison que cette foresterie en devenir est pleinement en phase avec les initiatives de réappropriation collective et de diversification économique des produits forestiers, dans la mesure où elle entrelace les stratégies du secteur aux formes de vie – symbolique et naturelle – qui façonnent les territoires.

Évidemment, de puissants verrous empêchent encore ces dynamiques de se déployer pleinement. Jamais on ne verra les tenants d’un modèle dominant abandonner volontairement leurs « privilèges ». Mais c’est en tirant parti de la crise actuelle du modèle de développement forestier que les communautés rurales vivant de la forêt, appuyées par des institutions financières ancrées dans le territoire québécois, pourront prendre appui sur elles-mêmes pour se bâtir un avenir à la hauteur de leurs talents.

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