Environnement

Un pari risqué

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Un pari risqué

L’exploration pétrolière et gazière dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent n’est pas une mince affaire. Les relevés sismiques qu’elle implique consistent à bombarder les fonds marins d’ondes sonores puissantes. Un bateau traîne une série de canons à air comprimé. Il en résulte des détonations toutes les dix secondes, 24 heures sur 24 pendant des semaines, voire des mois. Ces sons de basses fréquences et de forte intensité permettent de sonder la composition géologique du fond marin et de cibler où l’on a le plus de chances de trouver des hydrocarbures en quantités exploitables.

Ces sons ne se limitent pas au parcours entre le canon, le fond marin et le bateau. Ils voyagent sur des centaines de kilomètres, couvrant des territoires de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés. Selon Chris Clark, le directeur du programme de recherche en bioacoustique de l’Université Cornell, aux États-Unis, l’exploration sismique est la pire forme de pollution acoustique, hormis les exercices militaires acoustiques.

Cette forme de pollution acoustique peut avoir des effets sérieux sur la faune marine, particulièrement sur les mammifères marins, qui dépendent entièrement du son pour tous les aspects de leur vie : communication, recherche des proies, détection des prédateurs et navigation. Les sons associés à l’exploration pétrolière et gazière entraînent des changements de comportement qui risquent d’avoir des effets sur la survie ou le succès de reproduction des cétacés, et peuvent même entraîner des pertes de sensibilité auditive, des blessures ou la mort. Ces effets sont plus documentés chez les cétacés, mais des études ont montré des effets semblables chez les poissons et autres animaux marins.

L’exploration pétrolière et gazière ouvre bien sûr la porte à l’exploitation des hydrocarbures, qui comporte d’autres risques pour le milieu marin. On pense d’abord aux accidents qui peuvent entraîner l’explosion d’un puits ou le bris d’un pipeline. Dans bien des cas, les technologies d’intervention existantes ne suffisent pas à contenir et récupérer les déversements, ce qui entraîne des conséquences écologiques graves, voire dramatiques pour le milieu marin. Même sans catastrophe spectaculaire, il y a toujours des fuites. Chaque année, 110 millions de litres de pétrole s’échappent des puits, des pipelines et autres infrastructures de l’industrie pétrolière américaine. C’est trois fois plus que le déversement de l’Exxon Valdez.

D’autres dangers découlent du déroulement normal des opérations. Les boues de forage se déposent sur les fonds marins, et même traitées, elles sont une véritable soupe toxique de métaux lourds et d’hydrocarbures. Les contaminants s’immiscent aussi dans l’écosystème avoisinant les plates-formes via la pollution de l’air. En effet, des torchères brûlent l’excédent de gaz par mesure de sécurité et produisent alors des émissions d’hydrocarbures. De plus, les plates-formes étant illuminées en tout temps, elles sont un risque pour les oiseaux migrateurs. Et finalement, même le démantèlement des plates-formes, une fois la source tarie, pose de sérieux problèmes environnementaux. En général, les règles et procédures à suivre ne sont pas suffisantes pour limiter efficacement les risques environnementaux, l’initiative revenant largement à l’entreprise.

L’exploration et l’exploitation des hydrocarbures engendrent des problèmes d’autant plus aigus quand elles entrent en conflit avec d’autres usages de la mer. Peut-on socialement justifier de favoriser une activité qui repose sur une ressource non renouvelable quand elle pose des risques pour d’autres activités bien établies, comme la pêche ou le tourisme ? Ces risques sont difficiles à évaluer, surtout si l’on tente de saisir les effets cumulatifs à long terme. Ils s’ajoutent souvent aux autres stress subis par des écosystèmes fragiles, dont dépendent l’économie et le mode de vie des populations humaines côtières.

Comment, alors, envisager l’avenir de l’exploitation des hydrocarbures? Ne devrait-on pas être plus prudents, surtout en milieu marin? Pourquoi ne pas se tourner vers une meilleure efficacité énergétique et le développement du potentiel des énergies alternatives pour combler nos besoins en énergie? Ces questions sont de véritables enjeux de société, le Golfe et l’Estuaire méritant définitivement les étiquettes « fragiles » et « précieux ».

Texte original publié sur le site de Baleines en direct : www.baleinesendirect.net.

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