Nos blogues

Sur les chemins de la résistance

Par Joëlle Gauvin-Racine le 2010/10
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Sur les chemins de la résistance

Par Joëlle Gauvin-Racine le 2010/10

Cet article est le second d’une série portant sur la lutte des indigènes zapatistes du Chiapas, au sud du Mexique, et sur les vagues qu’elle produit jusqu’à nous.

Huitepec, Los Altos de Chiapas, février 2008.

J’ouvre les yeux. Il fait froid, malgré mes deux sacs de couchage. Je regarde à travers les planches qui forment les murs de notre cabane. Les premières lueurs de l’aube se laissent à peine deviner. Je sors et me rapproche du feu, où la compañera Irène a déjà mis à bouillir l’eau pour le café. Ce feu où nous cuisinons, cette cabane, voici l’essentiel du Campement pour la paix à Huitepec. Pour les deux prochaines semaines, nous habiterons ici. Quatre personnes bien différentes, venues de quatre coins du monde… Espagne, Autriche, Suisse, Canada (bien que je précise Québec chaque fois!) Comme tant d’autres avant, nous avons répondu à l’appel lancé par les zapatistes 1.

En 1995, le gouvernement du Mexique trahissait les engagements pris lors des pourparlers avec les représentants des insurgés autochtones. Au lieu de se présenter à la rencontre prévue, il y envoie l’armée. Trois ans plus tard, ce sont 70 000 soldats, le tiers des forces armées du pays, qui occupent le territoire des communautés autochtones. Ce déploiement fait partie d’une véritable offensive anti-insurrectionnelle, une approche déjà testée ailleurs (Amérique centrale, Irak…) Pour que cette guerre qui n’a pas de nom ne soit pas passée sous silence, les zapatistes lancent un appel à la société civile mexicaine et internationale. Appel à venir sur place prendre connaissance de la situation, à témoigner, à accompagner les communautés en résistance dans la défense de leurs droits. Appel qui ne reste pas sans écho. Le Centre de droits humains Fray Bartolomé de las Casas commence à coordonner les activités des observateurs internationaux. Des campements pour la paix sont mis sur pied à la demande des communautés. Quinze ans plus tard, la présence et l’engagement solidaires d’observateurs continuent. Parce que les attaques contre les communautés autochtones et les organisations sociales se poursuivent et s’intensifient. Parce que les communautés font encore appel à nous.

Ici, on nous appelle observadores, campamentistas (campeurs) ou tout simplement compas. Un raccourci pour compañeros, compañeras. Un mot dont je n’ai jamais trouvé l’équivalent dans notre langue, peut-être parce qu’il prend corps et âme dans la réalité partagée de la lutte et de la résistance au quotidien. Justement, il est temps d’aller rejoindre les autres compas. Ils sont près d’une soixantaine, hommes et femmes, venus de toutes les communautés où vivent des zapatistes dans les hautes terres du Chiapas. Je me rends compte que la plupart ont dormi à même le sol, côte à côte, enroulés dans une simple couverture. Pour une semaine, ils et elles laissent tout derrière pour venir soutenir la lutte menée ici : une réserve écologique communautaire a été créée pour protéger la forêt voisine, là où coulent les sources d’eau approvisionnant les gens de Huitepec. Récemment, ceux-ci se sont rendu compte que certains puits, jusqu’alors d’usage libre et collectif, avaient été cadenassés. L’ombre de la privatisation des ressources naturelles plane avec Coca-Cola qui embouteille déjà l’eau à quelques kilomètres de là. Il semblerait maintenant qu’on veuille alimenter à même ces cours d’eau les nouveaux développements résidentiels en périphérie de San Cristóbal de las Casas. Les communautés touchées n’ont évidemment pas été consultées. Encore le pillage des territoires habités par les autochtones et le refus de les reconnaître comme sujets autonomes, dignes et égaux qui se perpétuent depuis plus de 500 ans, au Mexique comme ici. Le Président municipal de San Cristóbal menace de démanteler la réserve communautaire. Les zapatistes résidant à Huitepec « seraient responsables de dommages écologiques », a-t-il dit aux médias. Menaces, désinformation : cela fait partie de la stratégie anti-insurrectionnelle. Des tactiques pour nourrir la peur, décourager la lutte, miner les appuis au projet de résistance. Face au spectre de l’éviction par la force, un campement pour la paix est installé. Chaque jour, pendant les deux semaines où nous y vivrons, nous accompagnerons quotidiennement les compas zapatistes pour parcourir la réserve. Peu de paroles sont échangées, mais à travers ces heures de marche partagées se tissent entre nous des fils invisibles…

Québec, juillet 2008.

Je regarde sur internet les nouvelles du Chiapas. Mon cœur s’arrête lorsque je tombe sur un vidéo d’une violente attaque policière contre la communauté de Cruztón. J’y avais aussi séjourné comme observatrice des droits humains en 2008. Les autorités de l’État du Chiapas exercent depuis plusieurs années pressions et menaces pour forcer les paysans de Cruztón à abandonner la terre qu’ils et elles ont travaillée depuis des générations, dans des conditions proches de l’esclavage, à la solde d’un grand propriétaire terrien. Lorsque celui-ci a quitté les lieux, il leur a assuré qu’il leur cédait la terre. Or arrive un jour un groupe qui prétend en détenir les titres légaux. Les paysans de Cruztón en sont chassés. Las de ne plus pouvoir cultiver, indignés de voir leurs enfants tomber malades depuis que s’est installé le nouveau groupe près de la source d’eau potable, les hommes et les femmes de Cruztón ont eux aussi dit « ya basta », ça suffit! Depuis qu’ils l’ont récupérée, ils sont considérés comme des occupants illégaux sur leur propre terre. La nouvelle de l’attaque policière arrive au moment où l’on apprend que deux entreprises minières canadiennes ont acquis des concessions en vue de l’exploitation de l’or sur le territoire de Cruztón. Voilà qui motive l’acharnement à déloger les paysans.

Mon désir de poursuivre l’engagement né là-bas est de plus en plus fort. J’en discute avec le Comité pour les droits humains en Amérique latine, à Montréal. Il est temps de former ici des observateurs pour le Chiapas. Deux ans plus tard, j’attends avec fébrilité le retour imminent de Simon, Maude et Marie-Hélène, les premiers observateurs formés au Québec. Quelles nouvelles des compas, quels échos de la lutte, quelles lumières de la résistance rapporteront-ils dans leurs bagages?

À suivre…

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Notes :

1. Les zapatistes se sont soulevés et organisés dans un mouvement pour transformer la situation d’injustice et de mépris historiques vécue par les autochtones au Chiapas.

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