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Au Québec, l’avenir politique des régions repose avant tout sur une véritable décentralisation

Par Paul Cliche le 2010/10
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Au Québec, l’avenir politique des régions repose avant tout sur une véritable décentralisation

Par Paul Cliche le 2010/10

Depuis 40 ans, deux projets de réforme, en lente et pénible gestation, cheminent cahin-caha chacun de leur côté sans jamais se rejoindre sinon pour entrer parfois en collision. Ces projets complémentaires, pourtant essentiels à la survie et au développement des régions du Québec, sont ceux de la décentralisation et de la réforme du mode de scrutin. Les deux dossiers partagent aussi la caractéristique de n’avoir pas encore abouti à cause des piétinements et des volte-face des deux partis qui se relaient au pouvoir depuis 1970.

Comme l’a affirmé la Fédération québécoise des municipalités (FQM) dans le mémoire qu’elle a présenté à la commission parlementaire sur la réforme de la Loi électorale en 2006 : « décentralisation et réforme du mode de scrutin doivent aller de pair ». En effet, la viabilité de la décentralisation dépendra en partie du mode de scrutin utilisé pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale.

Ainsi dans la perspective où la décentralisation permettrait éventuellement le transfert de pouvoirs de l’État central vers les municipalités, les MRC et les régions, et que pour administrer ces nouveaux champs de compétence seraient créées des assemblées régionales autonomes dont les membres seraient élus au suffrage universel, il serait primordial d’harmoniser les fonctions des élus régionaux et des élus provinciaux d’un même territoire de façon à ce que leurs efforts se conjuguent. Cette synergie permettrait d’aller beaucoup plus loin que ce que permettent d’accomplir les actuelles conférences régionales des élus dont les membres n’ont pas été élus avec un mandat régional, mais agissent en vertu d’une simple délégation octroyée par Québec.

Le blocage des politiciens

Malheureusement à Québec, la préoccupation d’arrimer les deux dossiers l’un à l’autre n’a jamais existé. Ces derniers relèvent toujours de deux ministres différents et suivent des trajectoires complètement indépendantes l’une de l’autre. Présentement, la décentralisation relève du ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, Laurent Lessard, et la réforme électorale, du nouveau ministre de la Justice et leader parlementaire gouvernemental, Jean-Pierre Fournier, qui, déjà surchargé, s’est vu ajouter la responsabilité de la réforme des institutions.

La seule tentative pour les intégrer n’a pas émané du gouvernement, mais des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques qui, tenus à l’automne 2002 et à l’hiver 2003, avaient été convoqués par le ministre péquiste Jean-Pierre Charbonneau et dirigés par un comité non partisan composé exclusivement de citoyens. Comme il fallait s’y attendre, les recommandations formulées par ces États généraux représentatifs de la population sont restées lettre morte suite à l’arrivée au pouvoir du gouvernement Charest.

Des péripéties du genre se sont répétées à plusieurs reprises au cours des quatre dernières décennies, aussi bien en ce qui a trait au projet de décentralisation qu’à celui de la réforme du mode de scrutin. Dans ce dernier dossier, les atermoiements incessants s’expliquent surtout par le fait que les députés ne veulent pas prendre le risque de modifier le système qui leur a permis d’être élus. Ils sont en conflit d’intérêts et ils s’octroient la prérogative de fixer les règles du jeu dont dépendent leur avenir politique personnel et celui de leur parti. Ils ne veulent surtout pas permettre à des assemblées citoyennes non partisanes de préparer des propositions de réforme sur lesquelles les électeurs seraient appelés à se prononcer par référendum.

En matière de décentralisation, par ailleurs, le gouvernement péquiste avait proposé un projet à la veille du référendum constitutionnel de 1995, mais il l’a remis dans ses cartons suite à la défaite du « oui » et on n’en a plus jamais entendu parler par la suite. Depuis, les gouvernements, péquistes comme libéraux, ont cheminé très lentement même si, périodiquement, ils annoncent de nouvelles politiques présumément novatrices, mais qui s’avèrent presque toujours de la poudre aux yeux.

La responsabilité des élus en régions

Mais le gouvernement n’est pas le seul responsable de la stagnation des deux dossiers. Une part importante de responsabilités doit être imputée à certains leaders régionaux, particulièrement les dirigeants des deux fédérations qui représentent les municipalités québécoises. La Fédération québécoise des municipalités (FQM), par exemple, a adopté, en 2005, une politique novatrice de décentralisation sur laquelle avait planché un des experts les plus compétents dans ce domaine. Elle avait même présenté le projet à la responsable ministérielle du dossier dans le temps, Nathalie Normandeau. Mais, soudainement, la FQM a oublié cette politique, sans la désavouer toutefois, et s’est mise à agir comme si cette prise de position n’avait jamais existé. Qu’est-il arrivé entre-temps? On le saura peut-être un jour.

On explique que les élus municipaux ne sont pas tellement désireux d’hériter de nouvelles responsabilités qui augmenteraient considérablement les exigences de leur fonction, ainsi que leur fardeau de travail. Ils préféreraient, somme toute, le statu quo où tout est pratiquement décidé à Québec et où leurs relations avec les gens au pouvoir se résument à des rapports personnels. Dans ce contexte, la clef du succès réside dans de bonnes relations avec son député, surtout si on a la chance que son parti soit au pouvoir. Cette situation a des relents de l’ère duplessiste alors qu’on n’obtenait des faveurs que si on se soumettait servilement aux volontés des « patroneux » de l’Union nationale.

Mais si les municipalités cessaient d’être des « créatures » de Québec. Si une véritable décentralisation permettait le transfert de pouvoirs bien définis de l’État central vers les instances locales et régionales, les élus, autonomes dans leur sphère de compétences, seraient certes en bien meilleure position pour défendre les intérêts de leur collectivité et favoriser le développement de leur territoire.

Un combat d’avant-garde permettant de s’attaquer à la racine des problèmes

Les défenseurs des régions agissent probablement de bonne foi en bloquant d’importantes mesures destinées à revitaliser la démocratie québécoise, comme ils l’ont fait avec la réforme du mode de scrutin en 2006 et comme ils ont tenté de le faire depuis 2008 avec la révision de la carte électorale. Mais ils se trompent en pensant que le maintien des distorsions causées par une carte électorale inéquitable et la préservation d’un mode de scrutin qui l’est encore plus constituent une façon efficace de renforcer le poids politique des régions périphériques.

En réalité, les revendications défendues par ces élus ressemblent plus à un combat d’arrière-garde pour préserver tant bien que mal des acquis qu’à une véritable stratégie pour assurer la survie et le développement des régions. L’enjeu qu’ils soulèvent est non seulement véritable, mais crucial. Toutefois, leur approche est déphasée par rapport à la dynamique extrêmement centralisatrice d’aujourd’hui où le gouvernement conçoit les régions comme un fardeau que le Québec doit traîner, et non comme un atout pour son développement.

Le combat d’avant-garde consisterait plutôt à s’attaquer à la racine du problème : la concentration excessive des pouvoirs à Québec. L’État québécois, un des plus centralisés au monde, doit céder une partie de ses pouvoirs aux instances locales et régionales qui ont été jusqu’ici ses créatures. « Il est urgent de réviser la répartition des pouvoirs dans notre collectivité pour rapprocher des citoyens les pouvoirs de décision et revaloriser les autorités les plus près d’eux pour assurer l’ensemble des services qui affectent la vie de tous les jours », écrivait René Lévesque dès 1977.

Plusieurs se demandent comment pourrait se traduire cette décentralisation. Elle prévoirait que les instances démocratiques, locales et régionales, dont les membres seraient élus au suffrage universel, seraient dotées de pouvoirs et de revenus autonomes, ainsi que de mécanismes de péréquation et de démocratie participative afin qu’elles puissent assumer l’ensemble de leurs responsabilités et assurer leur développement et des services de qualités à la population.

En contrepartie de ce transfert de pouvoirs, de responsabilités et de ressources de l’État québécois vers des gouvernements régionaux, ce dernier agirait comme leader, rassembleur, planificateur, définisseur des grandes orientations et objectifs, gardien des valeurs communes, de l’équité, de la solidarité sociale et de la protection de l’environnement, ainsi que comme responsable des grands équipements collectifs (établissements hospitaliers, scolaires, réseaux énergétiques, réseaux routiers, etc.)

On sait que les politiques pratiquées jusqu’ici par les gouvernements, libéraux comme péquistes, ont réservé la prise de décision et les ressources au gouvernement et aux ministères centraux même si les services sont déconcentrés dans des bureaux régionaux. De plus, les instances territoriales – comme les municipalités régionales de comté (MRC) et les conférences régionales des élus (CRÉ) – ne sont que de simples entités administratives, tandis que le statut juridique des municipalités les réduit au rang de créatures du gouvernement provincial. Voilà pourquoi l’État québécois est un des plus centralisés au monde.

Il faut être conscient que le passage d’un État unitaire, qui décide d’en haut, à des gouvernements régionaux, où le pouvoir se déploierait de la base, signifierait que l’État central se mettrait aux services des communautés territoriales. Décentraliser, en effet, cela ne consiste pas simplement à déménager des ressources et des fonctionnaires vers les régions; c’est un réaménagement global des lieux de décision vers la base.

Paul Cliche est l’auteur du livre Pour réduire le déficit démocratique au Québec : le scrutin proportionnel (1995). Il nous propose une réflexion en deux temps sur l’avenir des régions et la réforme des institutions démocratiques.

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