Culture

Qu’est-ce que mange 
un ermite en hiver ?

Par Claude La Charité le 2010/07
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Culture

Qu’est-ce que mange 
un ermite en hiver ?

Par Claude La Charité le 2010/07

Pour devenir ermite, il ne suffit pas de vivre dans la solitude, de consacrer sa vie à la contemplation, loin du bruit et de la fureur des hommes. Encore faut-il meubler cette solitude, la rendre habitable, par une série de petits gestes quotidiens, banals, qui distinguent l’ermite du commun des mortels. Et l’un des signes distinctifs des ermites tient à l’austérité librement consentie d’une vie réduite à l’essentiel. Cette existence placée sous le signe de la frugalité se manifeste en particulier dans l’alimentation. Que mangeait donc Toussaint Cartier, l’ermite de l’île Saint-Barnabé, en hiver comme en été ?

Dans les vies des ermites qui vécurent dans les premiers siècles du christianisme, on insiste sur l’extrême parcimonie de leur nourriture. Rompus au jeûne, habitués à renoncer au monde et à ses tentations, ces pères du désert se nourrissaient le plus souvent de pain et d’eau et plus rarement de légumes racines et de fromage. Le poisson et la viande étaient exclus de leur table. Les ordres monastiques reprendront, à leur tour, ce principe d’économie dans leurs règles.

Qu’en était-il de Toussaint Cartier, lui qui disposait à foison de petit et de gros gibier comme la gélinotte huppée et l’original, et de poisson de toute sorte comme le capelan et le flétan ? Sur ce point, les sources s’accordent pour faire de l’ermite de Saint-Barnabé un digne héritier des pères du désert, à un détail près : le poisson. Dans l’acte de cession de 1728, le seigneur concède au solitaire le droit de « faire de ladite île ce qu’il jugera à propos soit foins, pêche ou pâturage des animaux ». Évidemment, la pêche pouvait au mieux fournir une subsistance pendant l’été, même s’il est possible que la morue « boucanée » ait pu être consommée à l’année longue. Au reste, le poisson était devenu synonyme de simplicité volontaire depuis déjà longtemps dans la tradition catholique et figurait au menu des jours maigres. L’ermite, en ne mangeant que du poisson, à l’exclusion de la viande, s’imposait les restrictions du vendredi tous les jours de sa vie.

Outre le poisson, on sait que l’ermite mangeait également des produits laitiers, puisque, dans l’acte de 1764, le seigneur s’oblige à lui « fournir une vache à lait tous les printemps et [à] la prendre tous les automnes pour l’hiverner ». En plus du lait, l’ermite avait aussi vraisemblablement sur sa table du beurre et peut-être même du fromage. Joseph-Charles Taché évoque, lui, « une petite étable qui logeait une vache et quelques poules ». Il est peu probable que Toussaint Cartier ait mangé de la volaille, les poules ne lui fournissant que des œufs. Enfin, Elzéard D. Gauvreau décrit ce qui constituait la base de son alimentation, pain, fruits et légumes : « Il y a quelques années, on goûtait encore du fruit des gadeliers et des groseilliers de son jardin ; mais des bouleaux d’un pied de diamètre couvrent le terrain sillonné par sa charrue et qui lui produisait d’abondantes récoltes de blé et de pois. »

Mais la liste, même détaillée, des aliments de l’ermite ne suffit pas à rendre compte de l’esprit de son alimentation. Avec du poisson, du lait, du beurre, du fromage, des œufs, du pain, des pois et des groseilles, il y a amplement de quoi faire bombance, même en l’absence de viande rouge. En fait, dans la vie d’un ermite, le plus important est la domination de son appétit et de ses appétits. À cet égard, Louis-Édouard Bois, dans son roman inédit, est le plus convaincant dans la manière de rendre compte de la sobriété du manger chez Toussaint Cartier :

« Le travail auquel il veut se livrer, que ce soit culture de la terre ou soin de pêcheries, selon que la saison y conduit, suffira pour lui procurer sa nourriture qui, en tout temps, ne se devra composer que de pain, quand il pourra s’en procurer, et de légumes, des herbes que la terre produira, mais sans apprêts toujours, sans condiments quelconques. »

Il imagine même, non sans vraisemblance, le solitaire refuser les dons en nature des Rimouskois : « c’était l’offenser que de lui offrir quelques victuailles préparées avec soin ». Le romancier fait même de Toussaint Cartier un ascète parvenu à un tel degré de maîtrise de ses instincts et de la faim qu’il peut manger sans pourtant cesser ses occupations :

« L’obligation où se trouvait l’ermite de Saint-Barnabé de se préparer chaque jour quelque nourriture le mettait fort peu en peine ; et les jeûnes prolongés auxquels il s’était façonné de bonne heure, et la petite quantité d’aliments qu’il prenait ne l’obligeaient pas à se déranger de ses travaux pour faire un repas. »

Dans notre monde malade de surcharge pondérale, pratiquant une agriculture industrielle qui nourrit et entretient une obésité galopante, en plus d’épuiser les ressources de notre planète selon un modèle de développement impossible à généraliser à toute la Terre, le régime alimentaire de l’ermite apparaît, plutôt que comme une pratique masochiste d’un âge révolu, marqué au coin du bon sens même et offre une véritable alternative tournée plutôt vers l’avenir que vers le passé.

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