Basé à Granby et fondé en 1984, le 3e impérial est un espace mouvant de recherche et d’intervention animé par un collectif d’artistes et de professionnels de l’art. Ses activités s’articulent autour d’un programme de résidence voué à l’exploration de pratiques et de modes de diffusion qui situent l’art actuel dans un rapport de proximité à la collectivité et dans des espaces non dédiés à l’art. Aux volets de prospection, de production, d’intervention in situ et in socius, de communication et de diffusion, s’ajoutent un travail d’édition, ainsi que des résidences de théoriciens et la réalisation de forums publics.
Le parcours du 3e impérial est jalonné d’explorations aventureuses qui le mènent à rompre défi nitivement avec le modèle de diffusion en galerie, en 1997. Animé par une volonté de féconder les rapports artistes-publics, il opte pour une implication dans la territorialité, orchestrée par des processus, des jeux et des enjeux artistiques et sociaux. Cette approche intégrative de l’art à l’espace habité réunit, sous le vocable d’art infiltrant, des pratiques qui opèrent à même le réel, par un investissement d’énergie dans le corps social et des processus favorisant une diversité d’approches esthétiques.
Situant le champ d’investigation du 3e impérial dans la mouvance de l’art contextuel, cette approche ouvre d’emblée un vaste champ de possibles : espaces communautaires, espaces et lieux privés ou publics, commerces, parcs, terrains en friche, espaces symboliques, médiatiques, virtuels, lieux vernaculaires, etc. Dans la trame des corpus des programmations Instants ruraux (1997-1999), Supra rural (1999-2002) et Terrains d’entente (2002-2005), l’hivernitude constitue le lieu de plusieurs projets hardis qui ont manifestement contribué à réchauffer l’imaginaire collectif. En voici quelques fragments.
1998 – Une incroyable tempête de verglas s’abat en Montérégie, dans la zone qui a reçu le nom mythique du Triangle noir. Dans cet espace critique, deux artistes s’activent. Parmi les innombrables branches d’une érablière étêtée, Adrienne Luce récolte la matière de l’installation Blanc sur Blanc, par laquelle elle postule la revalorisation du paysage comme mode de connaissance. Quelques centaines de branches peintes en blanc et plantées à la verticale sont stratégiquement alignées dans un champ agricole, au tournant d’une route rurale.
Philippe Côté réalise Tomba le verglas, une enquête sociale singulière dont le but est de concevoir les 16 pictogrammes d’un monument commémoratif en granit : en quelque sorte, une chronique ironique qui révèle des enjeux climatiques, écologiques et sociopolitiques liés à cet extraordinaire événement. Finalement, l’artiste lance un concours à l’issue duquel un organisme s’étant démarqué par son implication auprès de sa communauté lors du grand verglas deviendra l’hôte du monument.
1999 – Dans un village, un lac gelé est le terrain d’expérimentation quotidien de Christopher Varady-Szabo. Réinvestissant les anciennes techniques de récolte de glace, il érige un four fait de blocs découpés à même la membrane glacée du lac. Malgré un épisode de redoux qui fait fondre une première construction, il parvient à achever l’oeuvre Langue de feu, coeur de glace. Le lac devient le théâtre incongru d’une foule rassemblée autour d’un étrange feu de joie enfermé dans un monument de glace. Une récitation de poésie actuelle se joint aux sonorités des courses de motocross qui se déroulent tout près…
2002 – Promenades pour deux rêves d’hiver : Karen Trask performe dans la ville enneigée. Elle déambule, habillée d’un étrange costume blanc en tirant une petite chaise montée sur deux skis. Sur cette chaise est placé un objet, différent à chaque promenade : une sculpture en beurre, un pain en glace, une chandelle, un moniteur vidéo. Évoquant des sensations de froideur, de chaleur, de confort et d’inconfort, ses déambulations réactivent poétiquement un sens de la célébration de l’hiver.
2004 – En décembre, Marie-Suzanne Désilets opère une Transformation extrême en recouvrant de peluche trois éléments du mobilier urbain en désuétude. Ce faisant, elle les abrite contre les intempéries et revient régulièrement les brosser, les sécher et les réparer, jusqu’à ce qu’elle convoque le public à une rencontre finale. Elle retire alors la housse et provoque un choc sensoriel en révélant au grand jour une laideur qui était devenue presque imperceptible au quotidien. Le réel, en contrepoint aux espaces dédiés à l’art, est un espace conditionné par une foule de caractéristiques, physiques, sociales, historiques, climatiques… C’est un espace qui exige des adaptations et des inventions au plan des attitudes et des aptitudes. On doit, entre autres, s’ajuster constamment aux tensions qui se jouent entre la posture d’un art qui tend à préserver son autonomie et les contraintes qu’impose sa relation au contexte. Le projet est infini, il s’agit de renouveler sans cesse nos formes de rapport à l’espace, au temps et à l’autre par des stratégies d’apprivoisement, d’infusion, de détournement, de renversements de perspective. Cette posture énergique comporte des risques, peut parfois être corrosive, ou tonique comme un froid nordique. Elle contribue certainement à considérer l’art dans une perspective de vitalité, dans un devenir ouvert à la mouvance de la vie.