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La nordicité à l’université, qu’ossa donne?

Par Dominique Berteaux le 2010/03
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La nordicité à l’université, qu’ossa donne?

Par Dominique Berteaux le 2010/03

La nordicité, c’est l’âme des pays nordiques. Une âme enracinée dans la terre froide de janvier, une âme forgée par neiges et glaces. La nordicité donne l’épaisse fourrure à l’animal, le repos hivernal à la rivière, et à l’humain le temps de penser. Penser à quoi ?

Penser que nous venons des terres chaudes de l’Afrique où notre vieille cousine Lucy ne connaissait pas la neige. Penser que nous avons peuplé la terre jusque dans les contrées froides où notre corps se sent étranger. Penser que nous y avons tout de même prospéré grâce à notre intelligence. En trouvant la chaleur dans la fourrure de la bête, puis dans le bois de l’arbre, puis dans le pétrole des plantes anciennes, et jusque dans le mouvement de l’eau et du vent.

MON PAYS C’EST L’HIVER

La nordicité est féconde et inventive. Elle est une force de création : les hymnes et les poèmes, l’art de trouver l’équilibre en glissant, l’euphorie des printemps soudains, l’esthétique de la blancheur, les jeux d’hiver qui rougissent les joues. Avec du temps, la nordicité forge les peuples, car « mon pays c’est l’hiver ».

La nordicité traverse les frontières et apparente les cultures. De l’Alaska au Québec, de la Suède à la Russie, Yakutat, Rimouski, Stockholm et Kamchatka partagent l’expérience de la nordicité.

La nordicité prend ses racines dans le froid universel qui sculpte la terre et la vie. Quel genre de sculpteur est le froid ? Comment modèlent-ils la terre ? Comment modèle-t-il la vie ? Les géographes se passionnent pour la terre et les biologistes pour la vie. Certains d’entre eux se passionnent aussi pour la nordicité.

BORÉAS

Le groupe de recherche sur les environnements nordiques BORÉAS réunit à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) certains de ces géographes et biologistes passionnés de nordicité. Boréas était pour les grecs le Dieu du vent du nord, celui qui apportait l’hiver. Il était le père de la neige. Autour de son nom sont réunis des chercheurs qui tentent de mieux comprendre la nordicité.

Près d’une vingtaine de professeurs, des chaires de recherche et environ 80 étudiants de maîtrise et de doctorat animent BORÉAS. Ils parcourent les forêts, les toundras, les lacs, les rivières, les montagnes et les mers pour étudier les forces qui structurent les environnements nordiques.

On peut dire que les environnements nordiques sont tous ceux couverts de neige et de glace en hiver. À cause du grand courant froid du Labrador, les environnements nordiques de l’est de l’Amérique du Nord s’étendent loin vers le sud. À 48° Nord, Rimouski est à la même latitude que Victoria et Paris, qui elles n’ont pas d’hivers blancs.

DES ENJEUX PLANÉTAIRES

Quels sont les enjeux des recherches sur les environnements nordiques ? Quelle est leur importance ? Près de 6,8 milliards d’hommes et de femmes peuplent la Terre. C’est dix fois plus qu’il y a 300 ans, au début du siècle des Lumières. Nos rapports à la planète changent radicalement. Nous peinons à en tirer toutes les conséquences. Les sciences de l’environnement, alliées à la sensibilité de ceux qui ressentent les transformations du monde, nous aident à voir plus clair.

Les environnements nordiques nourrissent une partie de la civilisation humaine : minerais, énergie, bois, mais aussi beauté et imaginaire. Cela les transforme. Leurs écosystèmes absorbent tant bien que mal l’exploitation des ressources naturelles, ils subissent les modifi cations du climat, les espèces qui y vivent sont en train de changer.

Les environnements nordiques sont vastes. Quels rôles jouent-ils dans l’équilibre écologique de la planète ? Quelle place tiennent-ils dans les grands échanges continentaux nécessaires à la vitalité des terres, des océans et des masses d’air ? comment contribuent-ils au grand tourbillon de la croissance démographique humaine ? Sommes-nous capables d’y puiser notre pitance en garantissant que nos successeurs pourront en faire autant ?

Dans une société moderne, le besoin de comprendre fait naitre la science, aussi sûrement que le besoin de guérir fait naitre la médecine. En 2005, l’UQAR a créé un nouvel axe institutionnel, la Nordicité, pour stimuler les recherches sur les environnements nordiques. C’était pour l’UQAR un événement historique, car cette université n’avait auparavant que deux axes de recherche institutionnels : l’océanographie et le développement régional.

PRISONNIERS RÉSIGNÉS OU AMOUREUX PASSIONNÉS ?

Subir la nordicité de force, comme des prisonniers résignés, ou l’embrasser de face, comme des amoureux passionnés. Chaque pays, chaque personne, fait son choix. La présence nouvelle de BORÉAS à Rimouski serait-elle une expression de la seconde voie ? Nous construisons notre nordicité en l’inventant chaque jour, en la vivant à chaque saison. En explorant, aussi, ce qui la définit.

La culture québécoise n’est pas une culture nordique : le Québec moderne a été construit par des gens immigrés de pays tempérés. Le développement des sciences nordiques, des arts nordiques, des sports nordiques, des autres « nordiques » va-t-il un jour créer un vrai pays nordique ? Un pays fi er de sa nordicité ? Un pays en harmonie avec son environnement ? On en est encore loin.

Dominique Berteaux est professeur en écologie à l’Université du Québec à Rimouski et directeur du groupe de recherche sur les environnements nordiques BORÉAS.


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