QU’EST–CE QUE L’ÉCOFÉMINISME ?
L’écoféminisme établit des liens philosophiques et sociopolitiques entre les systèmes de domination des femmes et la dégradation des écosystèmes. Il s’agit d’allier les pensées féministe et écologiste en constatant que les femmes et la nature sont toutes deux opprimées par des systèmes patriarcaux, capitalistes, colonialistes, racistes et sexistes pour qui « les femmes, la nature et les peuples étrangers sont (des) colonies »1. Les mouvements écoféministes sont d’avis qu’il est nécessaire de changer les systèmes politiques et économiques actuels pour freiner le désastre écologique et mettre un terme à l’oppression des femmes et des groupes racisés.
D’OÙ VIENT–IL ?
Le terme écoféminisme apparaît pour la première fois dans le livre Le féminisme ou la mort de Françoise D’Eaubonne en 1974. Durant cette décennie, des convergences entre militantes féministes, écologistes et pacifistes du Nord et du Sud mènent à des actions écoféministes et à « une vision globale du système mondial d’oppression et de destruction »2. Maria Mies et Vandana Shiva publient en 1993 leur ouvrage Écoféminisme qui devient un incontournable sur le sujet. Il est toutefois admis que des idées similaires circulent depuis des siècles sous différentes formes.
ÉCOFÉMINISME POLITIQUE VERSUS ÉCOFÉMINISME ESSENTIALISTE
Une importante distinction s’impose entre écoféministes politiques et écoféministes essentialistes. Les premières revendiquent des changements structurels, alliant féminisme radical et écologie sociale. Les tendances essentialistes tendent à postuler que les femmes seraient plus proches de la nature, plus à même de la comprendre et de vivre en harmonie avec elle grâce à une « essence féminine » souvent associée à la maternité. La principale critique soulevée est que cette position perpétue l’enfermement des femmes (et des hommes) dans des visions stéréotypées des rôles sexuels, au lieu de les en libérer. Un écoféminisme plus politique, et plus matérialiste, reconnaît que les modes de vie et la division sexuelle et internationale du travail influencent le degré de proximité des femmes et des hommes avec la nature, mais que cela n’a rien à voir avec une hypothétique nature féminine ou masculine.
LA NÉCESSITÉ D’UNE PERSPECTIVE ÉCOFÉMINISTE : DEUX EXEMPLES
Premier exemple : Lorsqu’il est question d’économie, on s’attarde typiquement à l’emploi (création d’emplois, équité salariale, etc.) Une perspective écoféministe exige d’aller plus loin dans la compréhension pour questionner les fondements même de ce système : À quoi servent les emplois ? Les produits fabriqués ou utilisés sont-ils polluants, toxiques ? La création d’emplois justifie-t-elle la surproduction et la destruction des écosystèmes3 ? Or la raréfaction des ressources ne peut qu’alourdir le fardeau des femmes qui, dans plusieurs régions du monde, sont encore responsables de l’approvisionnement en eau, de la collecte du bois et de l’agriculture. C’est la division sexuelle et internationale du travail qui les rend plus sensibles aux difficultés environnementales.
Deuxième exemple : la guerre. Les conséquences sont extrêmes pour les femmes : viols, impacts sur leur santé et celle de leurs futurs enfants à cause de l’utilisation d’armes chimiques et biologiques, déplacements de population. En plus d’assurer un approvisionnement minimal pour leur communauté, les femmes s’occupent des malades victimes de la contamination, résultat de guerres, de bombardements ou d’accidents nucléaires. Les guerres blessent aussi l’environnement : mines antipersonnel, destruction des écosystèmes par les véhicules militaires, déforestation et graves conséquences sur la biodiversité. Il est donc plus que nécessaire de changer cette logique militaire, machiste et patriarcale fondée sur la valorisation de l’agression et de la domination des femmes, de la nature et des groupes racisés.
Chaque système a un impact sur les autres et ils sont en constante relation. L’approche systémique voit tous les éléments d’un problème ou d’une situation comme un ensemble et les aborde de façon globale et locale. L’écoféminisme privilégie cette approche qui dépasse la logique sectorielle et qui considère tous les enjeux comme faisant partie de systèmes économiques et sociaux. On ne peut aborder qu’un seul aspect du problème pour tenter de le régler. On doit sortir de ses zones de confort et remettre en question les systèmes qui sous-tendent nos sociétés.
DEUX GRANDS DÉFIS
Le mouvement écoféministe naissant au Québec fait face à deux grands défis : 1) les mouvements féministes doivent se doter de pratiques écologistes et développer des analyses féministes sur les enjeux écologiques; 2) ces pratiques et analyses féministes et écoféministes doivent s’intégrer dans les mouvements écologistes. Sortir de ses habitudes militantes et accepter de transformer ses manières de vivre, de s’organiser et de lutter, voilà un bon point de départ pour se diriger vers un écoféminisme politique.
Notes :
1. Maria Mies dans Lucie Gélineau, Les savoirs et les pratiques féministes en matière de viabilité et d’équité, Communication à l’Université féministe d’été, Université Laval, 10 juin 2004.
2-3. Elsa Beaulieu et Maude Prud’homme, « Pour un écoféminisme politique ! », Féminisme en bref, 2008.