Culture

La Débâcle

Culture

La Débâcle

C’est bien au chaud dans une cabane de pêche, sur un fjord gelé, généreux mais hostile, que j’entreprends l’écriture de cet article, afin de vous raconter une aventure singulière. Elle débute il y a un an, sur cette même banquise.

Un beau matin de mars 2009 – Géraldine Perna et moi-même, collègues de la maîtrise en arts de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), partageons un moment de pêche sur glace. Dans cet environnement inspirant, nous discutons, par contraste, de notre situation académique ; démarches artistiques individuelles, travail d’atelier, gracieuseté de l’institution, et préparation d’oeuvres à exposer dans la galerie de cette même université. Situation sécurisante, bref. Par contre, nous réalisons à quel point on nous tient encore par la main, et constatons le gigantesque potentiel de ce lieu sauvage en regard des compétences à développer dans notre formation : exploration et pratique de diverses stratégies de recherche et de création en arts. Autour d’un trou noir, dans l’immensité blanche, l’idée est lancée.

Lundi, 9 mars 2009 – Après avoir hameçonné nos enseignants et collègues, nous voilà de retour sur la banquise, dans une cabane louée au beau milieu d’un village qui en compte plus de 600 ; au large de Saint-Alexis-de-Grande-Baie (Saguenay arrondissement La Baie). Dans ce décor plus grand que nature, avec les perceptions des distances distordues, sur ce désert figé, mais pourtant en constant mouvement (marées), avec un bateau transatlantique qui s’est arrêté à quelques mètres de nous et dont les marins nous saluent sur le pont, avec un calme plat qui cache une activité sous-marine effervescente, palpable, on ne peut rester indifférent. Pour chaque artiste et philosophe en nous, c’est l’occasion de s’imprégner du lieu, de s’en inspirer, et de se questionner sur notre place et notre échelle dans cette immensité brute. Puis des actions artistiques se posent, solitaires ou collectives, parmi cette microsociété temporaire bien distinctive. On documente les lieux, les gens, les cabanes, nos inspirations, nos créations, avant que la débâcle ne les emporte toutes au loin, vers l’océan.

Mardi, 10 mars 2009 – Nous sommes de retour à l’université, marqués par l’énergie que l’on ressent toujours, projetés dans les images et les sons que l’on partage et met en commun. L’aventure passionne ; elle se poursuit. On apprend que le Musée du Fjord, situé sur le rivage de cette Grande Baie, propose de nous accueillir. À des visions historiques et scientifi ques sur le Fjord du Saguenay, nous sommes invités à donner la nôtre, artistique. Le travail est maintenant collectif, le groupe se soude. On jongle avec la documentation amassée, on échange les idées ; on développe ensemble une exposition, volontairement et parallèlement à notre corpus scolaire. On élargit l’équipe, on développe les réseaux, cette fois avec des acteurs locaux, détachés du « monde de l’art » ; l’Accommodation des 21 (boutique de pêche) nous fournit du matériel d’exposition, la Maison du Pain et la Fromagerie Boivin assurent un buffet pour le vernissage, TVDL et CKGS (télévision communautaire et radio locale) diffusent l’événement.

Jeudi, 30 avril 2009 – Vernissage au Musée du Fjord de l’exposition La Débâcle. Hors de l’institution-cocon, ensembles et autonomes, 11 étudiants en arts ont choisi d’explorer une alternative. Non seulement il y eut des positionnements critiques face à des contextes connus, mais aussi une volonté de découvrir et d’agir dans des contextes différents, déstabilisants, inspirants, typiquement nordiques et paradoxalement peu connus des artistes originaires de cette même région, découlant en une célébration de la rencontre de ces contextes : milieux artistique et socioculturel, institutions d’enseignement et de muséologie communautaire, groupe d’étudiants et acteurs locaux, sécurité du dedans et vulnérabilité du dehors.

Mercredi, 27 janvier 2010 – La banquise s’est reformée, la graine semée l’an dernier semble être déterminée à germer. L’aventure est racontée à la nouvelle cohorte, le Musée du Fjord se montre motivé à poursuivre sa collaboration avec les étudiants. Y aura-t-il de nouveau cette volonté de connaître autre chose, de sortir prendre l’air, de se positionner et de se démener ? Le germe est là !

La Débâcle (2009) – Anne-Marie Anctil, Olivier Bergeron-Martel, Baptiste Chetail, Patrick Dubé, Janine Fortin, Carolanne Gauthier, France Guay, Géraldine Perna, Charles-David Maltais, Geneviève Roy et Mélissa Santerre.

Partager l'article

Image

Voir l'article précédent

La cryonordicité ou les vibrations de la lumière froide

Voir l'article suivant

Sur les traces des marins basques