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Une décennie de l’effritement

Par Christine Portelance le 2010/01
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Une décennie de l’effritement

Par Christine Portelance le 2010/01

On a connu la « Belle époque », les « Années folles », The Glorious Sixties. Comme il est curieux de dire les années zéro, comme on disait les années quatre-vingts, et autres! La décennie qui passe me semble caractérisée par toutes sortes de formes d’effritement. Petit bilan.

Effritement de la démocratie. Le taux de participation aux élections ne cesse de baisser. Les citoyens en ont probablement assez d’élire des députés qui n’ont qu’un rôle de figurant ou de pantin. Au Parlement, il n’y a plus que des partis qui s’affrontent avec comme seul horizon la prochaine échéance électorale. Une belle foire d’empoigne! Le désintérêt du peuple est un verdict. Vivement une réforme du parlementarisme et le retour à l’élection d’un parlement de représentants du peuple. On a pu constater à quel point le premier ministre Harper est incapable de reconnaître qu’un parlement est constitué d’élus, et la vice-reine s’est fait sa complice. Shame on you!

Nous sommes pourtant confrontés à des problèmes de société qui nécessiteraient une vision à large spectre. Le rêve : un parlement véritablement formé d’hommes et de femmes d’État dans toute la noblesse du terme.

Effritement de la probité. Scandale des commandites, scandales financiers, scandales dans l’attribution des contrats dans les différents paliers de gouvernement. N’en jetez plus, la cour est pleine! À l’heure où j’écris, il est difficile de croire que Jean Charest sera celui qui nettoiera les écuries d’Augias au Québec.

Effritement du consensus québécois. Le visage français de Montréal qu’avait permis la loi 101 s’anglicise lentement, mais sûrement. Et on laisse faire…

Effritement de la confiance des souverainistes. L’appui à la souveraineté est toujours présent, mais de moins en moins de souverainistes croient qu’ils verront le Québec devenir un pays. En politique, il ne suffit toutefois que d’un événement pour renverser les tendances. Imaginer un instant qu’après avoir acheté des réseaux de distribution dans les Maritimes, Hydro-Québec se voie imposer la « nationalisation » par le gouvernement du Canada pour le bien du pays. Comment réagiraient les Hydro-Québécois?

Effritement de la laïcité. Jusqu’où nous mènera la rectitude politique?

Effritement du conservatisme économique. On dit que la fin de la décennie ramène à l’avant-plan J. M. Keynes, qui remplace dorénavant M. Friedman. Or, pour juguler la crise financière de 2008, l’interventionnisme d’État n’a fait que remettre sur les rails le même système financier délirant ; au Canada, il permet de financer le népotisme à grande échelle, celui des chèques en forme de pancartes électorales.

Pourrait-on envisager de mettre en veilleuse l’économie virtuelle pour revenir aux personnes, aux biens et aux services? Troquer les plus « grands » profits pour de « meilleurs » profits.

Effritement des droits de la personne et du respect de la vie privée. Les attentats du 11 septembre 2001 ont permis d’installer des mécanismes de surveillance dont on ne mesure réellement ni l’ampleur, ni les conséquences. Et le retour de la torture. (Avait-elle vraiment disparu des pays démocratiques?)

Effritement de la puissance des États-Unis. La guerre en Irak, en Afghanistan. La meilleure armée du monde pédale dans la semoule. Le dollar américain est soutenu par la Chine. Faut-il leur souhaiter l’illumination sur le chemin de Damas?

Effritement des conditions climatiques. Tout semble être allé plus vite que les hypothèses des scientifiques le prévoyaient. Néanmoins, à première vue, il ne semble pas que Copenhague aura plus de succès que Kyoto.

Effritement des réserves d’eau en Chine. Voilà qui fera bien du monde assoiffé. Les plus grands fleuves d’Asie prennent leur source au Tibet et des glaciers de l’Himalaya fondent…

Effritement de la qualité de l’information. D’une part, convergence et, d’autre part, une masse colossale d’informations sur le web où une chatte a souvent du mal à reconnaître ses petits. Tous les grands journaux en arrachent et le journalisme aussi. Le Mouton NOIR fêtera en 2010 ses 15 ans d’existence, du moins espérons-le; souhaitons-lui une autre décennie et de nouveaux abonnés de plus en plus nombreux.

Bilan pessimiste, direz-vous.

Bien sûr, il y a eu également durant cette décennie un retour de l’« engagement social » avec les manifestations des altermondialistes (Seattle, Québec), les forums de Porto Alegre, les gigantesques manifs contre la guerre en Irak, celles de « on a pas voté pour ça » (provoquant l’abandon de la réingénierie de l’État), l’espoir qu’a fait naître l’élection d’Obama. Et le peuple est descendu dans les rues de Rome pour réclamer la démission de Silvio Berlusconci. Yes we can!

Il y a plus de produits bio sur le marché et on sent un engouement pour le terroir et l’économie locale. La récupération et le recyclage ont fait du progrès. La culture au Québec ne connaît pas de déclin, le nombre de créateurs en témoigne. On connaît ici un léger bébéboum, n’est-ce pas de l’optimisme doublé d’une envie profonde d’un monde meilleur?

Qu’est-ce qu’on peut faire de mieux? Sortir des diktats de la société de consommation et du tout jetable, de la jeunesse à tout prix, de la performance à tout crin. Redéfinir le bien-vivre.

Qu’est-ce qu’on peut demander au « petit Jésus » au pied de la crèche pour la paix dans le monde? L’émergence d’une classe moyenne au Pakistan. Ça urge!

Il y a fort à parier que la prochaine décennie sera quelque peu chaotique, mais il n’y pas de changement sans chaos! Il faudra s’en souvenir.

Bonne première année des années dix du troisième millénaire!

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