
Poste d’entrée du monde tibétain, Zhondian est une ville du nord du Yunnan perchée à 3 200 mètres d’altitude; elle a été rebaptisée du nom de Shangri-La dans le but d’attirer les touristes qui se rendent nombreux à Lijiang plus au sud, l’endroit le plus visité du Yunnan. Shangri-La (paradis) est un lieu mythique créé par un écrivain anglais ayant vécu 30 ans dans un village naxi près de Lijiang1.
Zhondian, c’est la ville nouvelle, 125 000 habitants, Tibétains et Naxi. Avec des rues bordées d’épinettes! Étrange, mais, somme toute, joli. On ne voit pas la polarité : secteurs pauvres, secteurs tibétains / secteurs prospères, secteurs han, comme dans le Qinghai. D’ailleurs, les Han ne semblent pas très nombreux. L’été ici dure deux mois, il fait entre 15 et 20 degrés.
Zhongdian, c’est aussi la vieille ville, rénovée pour les touristes. Grâce à l’intervention d’un dirigeant local, on ne l’a pas rasée pour faire place à du vieux neuf, comme trop souvent on fait en Chine. Ce sont surtout les façades en bois que l’on a refaites. On dit que la plupart de ses habitants se sont empressés de déménager dans la ville neuve; on ne peut les blâmer d’avoir quitté des maisons qui doivent être glaciales l’hiver. Malgré tout, il y a encore une vie de village : on voit les gens laver et éplucher leurs légumes dehors, jeter l’eau dans le caniveau en pente, car plusieurs maisons semblent n’avoir qu’un robinet extérieur. On voit des mères relever les jambes de leur bébé pour leur petit pipi dans le caniveau.
Nous sommes encore en basse saison et il y a donc très peu de touristes, ce qui est bien agréable pour déambuler dans le lacis des rues étroites, en gros pavés inégaux glissants sous la pluie. De nombreuses boutiques, comme dans tout site touristique : certaines avec la même pacotille que partout en Chine, d’autres plus artisanales. Les femmes qui gardent ces échoppes ont toujours les mains occupées par quelque travail d’aiguille. À l’extrémité de la ville, un temple avec un moulin à prière haut de deux étages. Sur la grande place, il y a de petits comptoirs de grillades. Le soir, on range tout et on danse en rondes en invitant les touristes, une tradition de village. Il y a plein de cafés typiques et tripants. On dirait une ville hippie. Tout est tellement cool! Même les chiens et les chats semblent cool. J’ai l’impression que flotte partout une odeur d’encens. Par la suite, je me rendue compte qu’au lieu de cuisiner sur de petits poêles au charbon, comme à peu près partout en Chine, ici, on cuisine au bois, et c’est du pin que l’on brûle, d’où l’air parfumé.
Tout autour, de petits villages tibétains pauvres, sans écoles souvent, sauf lorsque de jeunes enseignants chinois y viennent bénévolement. Je me suis rendue dans un de ces villages pour visiter un petit monastère, Da Bao Si, en compagnie de Chinois rencontrés dans un café.
Décor bucolique. Des champs, des montagnes, des nuages effilochés plus bas que les sommets. Sur la route, toute en courbes, nous croisons un paysan qui porte sur ses épaules un veau pendant que la mère yack suit à petits pas. Le taxi nous dépose à l’entrée du village; une vieille femme nous vend un billet que personne ne nous réclamera. Ce monastère, où n’habitent que quatre ou cinq moines, est un lieu de culte important, car les Tibétains qui souhaitent faire un pèlerinage à Lhassa doivent y venir avant le départ. Nous entamons l’ascension des marches, le flanc de montagne est couvert d’épinettes, au sommet, il n’y a que des pins. À mi-chemin, nous nous arrêtons pour laisser passer quelques Tibétains et un jeune moine bossu. Ils nous font un brin de causette.
En haut de l’escalier, on n’aperçoit qu’un seul bâtiment. Dans la cour, pleine de chèvres et de poules, j’hésite. J’ai l’impression d’être chez quelqu’un. Je finis par franchir la deuxième enceinte. Le temple est minuscule et assez délabré. Sur les côtés, l’aire d’habitation. Il y a une femme sur la galerie.
Nous ressortons doucement. Il pleut et il fait soleil en même temps. Le sommet de la montagne est rempli de drapeaux de prière multicolores qui claquent au vent. Une profusion. Au pied des vieux pins, des amoncellements de pierres gravées : om mani padme hum. Ça et là des foyers ovoïdes pour l’encens. Il semble évident que c’est la montagne qui est le véritable temple. Je ne sais quelles cérémonies ont lieu sur cette montagne, mais jamais je ne n’ai eu un tel sentiment de sacré en visitant des temples tibétains. Nous l’avons tous perçu.
En redescendant par le chemin qui fait le tour de la montagne, on longe le cimetière : des tombes construites comme des huttes de pierres. On marche lentement en se chauffant au soleil.
De retour au point de départ, la femme qui nous avait vendu un billet est maintenant entourée d’une demi-douzaine de femmes, certaines avec des enfants. Assises à l’ombre, elles bavardent et rient, comme toutes les femmes du monde… Une vieille femme file de la laine. On s’assoit pour la regarder faire. Le seul homme avec nous s’éclipse discrètement. On nous explique la laine, à deux brins, à trois brins. La chauffeure naxi se joint au groupe, elle tient à la main un travail de broderie qui l’a occupée pendant notre excursion. Jamais elle n’a donné l’impression qu’il fallait qu’on se presse.
Comme la vie semble simple et douce parfois. Petit moment de grâce.
Note :
1. En traduction française : James Hilton, Horizon perdu, Terre de brumes, 2006.