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Les milieux communautaires

Par Frédéric Deschenaux le 2009/11
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Les milieux communautaires

Par Frédéric Deschenaux le 2009/11

Le discours économique est omniprésent dans toutes les sphères de la société. La recherche incessante de profit tend à devenir « normale », voire banale, dans l’opinion publique. Selon cette doctrine, tous les acteurs d’une société ne devraient se mobiliser qu’afin de contribuer au développement économique. Les multiples campagnes électorales de toutes sortes semblent confirmer cette tendance, en faisant de l’économie le principal cheval de bataille. Résultat : la droite s’installe confortablement au pouvoir aux divers paliers de gouvernement.

Pourtant, plusieurs personnes ne partagent pas ces idées politiques et ces valeurs individualistes et se retrouvent à la marge des courants dominants. Pire, dans certains cas, des médias donnent la tribune à des idéologues de droite qui se permettent d’accuser leurs opposants en affirmant qu’ils s’enferment dans une idéologie! Les ténors néolibéraux tournent souvent au ridicule les « socialistes », les « écolos » ou les « altermondialistes » qui véhiculeraient des messages contre-productifs ou encore appartenant à une autre époque. Au comble de la caricature, certains rappellent le fiasco du modèle soviétique pour vanter les mérites du capitalisme et de l’économie de marché.

Dans ce contexte, les mouvements sociaux qui contestent l’ordre établi sont à la marge du pouvoir, ce qui ne les empêche pas d’être des acteurs et des milieux de vie dynamiques. Les milieux communautaires en sont un bon exemple!

Un bref historique des milieux communautaires

Retraçons brièvement l’historique des milieux communautaires au Québec. En fait, le point de départ de l’analyse du milieu communautaire peut se situer dans la sphère économique, où les actions posées par les intervenants de ce mouvement viennent s’opposer aux diktats de l’idéologie dominante, en l’occurrence le néolibéralisme1.

On peut identifier une première génération d’organismes communautaires entre 1963 et 1975. La Révolution tranquille provoque des bouleversements sans précédents dans la société québécoise, à commencer par une prise en charge collective des problèmes sociaux. En effet, même avant ces années de remise en question sociétale, il n’est pas rare de voir des communautés s’organiser spontanément lorsque survient une tragédie (incendie, décès, etc.). Ces comités de citoyens revendiquent des services collectifs et le droit d’être consultés lors des prises de décisions importantes qui jalonnent le parcours d’un peuple se sortant du joug du clergé.

La deuxième génération d’organismes (1976-1982) est marquée par le contexte économique changeant, au sortir de la prospérité économique liée à l’après-guerre. Cette période pendant laquelle les services publics sont étatisés, presque sans égards aux coûts engendrés, tire à sa fin. En effet, les dépenses encourues pour dispenser de tels services deviennent vite un fardeau pour l’État. Délaissant pour plusieurs la vocation politique, ce sont désormais les services à la population qui sont le nouveau fer de lance de ce qu’on appelle alors les groupes populaires. On assiste à un éclatement des secteurs d’activités de ces groupes. Cependant, les comités de citoyens ne disparaissent pas pour autant. Ces derniers, qui, pour la plupart, demeurent dans la sphère politique, spécialisent leurs actions et donnent naissance à des groupes existant encore de nos jours, comme des associations pour la défense des droits des assistés sociaux et des associations de locataires.

Bien que le nombre de groupes populaires augmente au cours de la deuxième génération d’organismes communautaires, c’est durant la troisième génération (1982 à aujourd’hui) que le phénomène prend toute son ampleur. Ainsi, pour la seule île de Montréal, en 1973, on compte 138 groupes populaires, alors qu’on en dénombre 1500 au début des années 1980. Depuis les années 2000, on recense régulièrement plus de 8000 organismes communautaires sur l’ensemble du territoire québécois. En somme, c’est une croissance quasiment exponentielle des milieux communautaires, fortement marquée par la volonté de partenariat de la part de l’État, qui caractérise particulièrement la troisième génération de ce qu’on appelle depuis lors les organismes communautaires.

Le paradoxe de la main gauche de l’État

Selon le sociologue Pierre Bourdieu, l’État est divisé entre son désir de répondre, de la main droite, aux diktats des marchés financiers (comme l’atteinte du déficit zéro) et de remplir, de la main gauche, son rôle historique de prise en charge des besoins sociaux. Plus précisément, la main gauche de l’État réfère à tout « […] ceux que l’on envoie en première ligne remplir les fonctions dites “sociales” et suppléer les insuffisances les plus intolérables de la logique de marché sans leur donner les moyens d’accomplir vraiment leur mission2». Ainsi, les milieux communautaires répondent d’autant plus à cette définition de la main gauche de l’État qu’ils sont maintenant reconnus, depuis la troisième génération, comme partenaires de l’État par la Politique gouvernementale sur l’action communautaire3.

Cette situation recèle un troublant paradoxe. Afin de pouvoir imposer leur vision néolibérale, les tenants de cette idéologie ont ardemment besoin de ce qu’ils cherchent à détruire, c’est-à-dire les structures collectives susceptibles d’entraver le fonctionnement optimal du marché, afin de maintenir la paix sociale.

En somme, peut-on penser que plus les espaces sociaux à la marge du discours dominant sont dynamiques, plus ils permettent à l’idéologie dominante de se renforcer? Sans l’action soutenue des milieux communautaires, verrions-nous exploser le couvercle de la marmite québécoise lorsque le gouvernement coupe dans les services à la population? Cet extrait de la chanson Libérez-nous des libéraux de Loco Locass illustre bien ce paradoxe :

Et pour couper court au courroux populaire
Patapouf étouffe la foule et légifère à tombeau ouvert
Pis tout sourire, il sert la soupe populaire
C’est ça être solidaire quand on a sacré tout à terre

1. De nombreuses références pourraient être citées en appui à ce texte. Pour des raisons d’économie d’espace, le lecteur intéressé pourra trouver des sources plus détaillées en suivant ce lien vers ma thèse de doctorat : http://erta.educ.usherbrooke.ca/documents/TheseDeschenaux.pdf.

2. Voir Pierre Bourdieu, Contre-feux, Paris, Liber/Raisons d’agir, 1998, p.11.

3. Voir http://www.mess.gouv.qc.ca/sacais/action-communautaire/politique-reconnaissance-soutien.asp.

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