Champ libre

La maison du solitaire, petite cabane en bois rond ou grand ermitage?

Par Claude La Charité le 2009/09
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La maison du solitaire, petite cabane en bois rond ou grand ermitage?

Par Claude La Charité le 2009/09

Compte tenu de l’engouement suscité par les fouilles archéologiques menées par ma collègue, Manon Savard, sur l’île Saint-Barnabé, j’ai décidé d’interrompre momentanément ma chronique sur l’invention de la littérature québécoise et de consacrer une série d’articles à Toussaint Cartier, l’ermite qui vécut au large de Rimouski de 1728 à 1767. Il faut dire que cet énigmatique solitaire jouit depuis quelques mois d’une nouvelle popularité, au point de donner son nom à un bar de l’avenue de la Cathédrale. Comme la solitude semble être devenue très « tendance », j’ai jugé que le moment était favorable pour donner un avant-goût du livre que je prépare sur ce curieux personnage dont la légende s’est très tôt emparée, au point de multiplier à son sujet les récits contradictoires1.

Si Toussaint Cartier a quelque chose de légendaire, il a pourtant bel et bien existé, comme le prouvent les actes notariés produits de son vivant. Cela dit, les fouilles archéologiques de cet été, en exhumant des artefacts du XVIIIe siècle – en particulier des tessons de terre cuite verte, caractéristiques de l’époque (voir photo A) –, l’ont rendu plus réel que jamais. La poursuite des fouilles permettra peut-être l’été prochain de confirmer le lieu présumé de la maison de l’ermite (voir photo B).

Dans l’intervalle, les archives nous offrent un premier aperçu de ce qu’était peut-être cet ermitage. Les témoignages recueillis au début du XIXe siècle auprès d’anciens Rimouskois qui avaient connu Toussaint Cartier de son vivant fournissent un éclairage extrêmement intéressant, susceptible d’offrir un autre point de vue sur le tableau mis en évidence par l’archéologie.

Parlons d’abord des dimensions de cette maison. À une époque comme la nôtre, séduite par la simplicité volontaire, il est tentant d’imaginer une modeste cabane en bois rond, à l’image de celles des colons du XIXe siècle. C’est ainsi que la plus ancienne gravure, publiée dans La Presse en 19052, représente la demeure du solitaire. Or, bien loin de cette espèce de cabanon de jardin avant la lettre, les témoignages recueillis par Joseph Signay, lors d’un passage à Rimouski en 1833, nous mettent plutôt sur la piste d’une habitation d’une certaine envergure, « une maison d’une trentaine de pieds divisée en trois chambres ». Ce texte est cependant sujet à caution, dans la mesure où son auteur était évêque de Québec et cherchait d’abord à offrir un modèle d’édification à l’usage des fidèles de la paroisse de Rimouski récemment créée en magnifiant le souvenir de l’ermite, et peut-être aussi de son habitation. Le témoignage de Charles Lepage, rapporté dans la Chronique de Rimouski, corrobore cependant ce détail, lorsqu’il évoque « une maison en colombage, de 35 pieds sur 20, avec solage et cheminée en pierre ».

Maison Lamontagne - Photo : Claude La Charité

Mais alors pourquoi un homme seul, voué au travail de la terre, à la prière et à la méditation, aurait-il eu besoin d’une si grande habitation, capable de loger une famille nombreuse? En fait, la réponse tient non pas tant à l’utilisation qu’en faisait l’ermite qu’à la valeur symbolique que revêtait le lieu pour les gens de l’époque. Les mesures de l’ermitage font penser à celles des presbytères du régime français qui mesuraient trente pieds par trente. En fait, l’envergure de l’ermitage nous renseigne sur le rôle joué par Toussaint Cartier dans sa communauté. Rimouski, au XVIIIe siècle, n’était pas encore une paroisse, mais une simple mission, desservie par un religieux itinérant qui devait couvrir un territoire démesuré. Sans être un membre du clergé ni avoir le droit d’administrer les sacrements, Toussaint Cartier, en l’absence du missionnaire, devait tenir lieu de substitut symbolique. Et sa maison, construite par la volonté du seigneur de Rimouski, était là pour le rappeler.

Par ailleurs, la répartition de l’habitation en trois grandes pièces constitue également un détail significatif, car il s’agit du plan des ermitages traditionnels, généralement constitués d’une chambre à coucher, d’une salle à manger et d’une pièce réservée à la prière.

Non seulement l’ermite habitait-il une grande maison, mais ce bâtiment principal était, en outre, d’après Joseph-Charles Taché, pourvu d’« une petite étable qui logeait une vache et quelques poules ».

On le voit, ce serait trahir le passé que de vouloir reconstruire une modeste chaumière pour rappeler l’ermitage de Toussaint Cartier, qui ressemblait sans nul doute bien plus à la Maison Lamontagne (voir photo C) – par le colombage pierroté et ses vastes proportions – qu’à une quelconque « maisonnette ».

Plutôt que de présenter aux touristes une maison de poupée qui n’aurait rien à voir avec celle de l’ermite, peut-être vaudrait-il mieux renouer avec l’habitude, évoquée par Elzéard D. Gauvreau en 1867, de ces amoureux qui allaient pique-niquer sur l’île, avant de se recueillir sur les ruines de l’ermitage. Les amoureux de l’île Saint-Barnabé d’aujourd’hui pourraient ainsi, à partir des vestiges mis au jour, consolidés et mis en valeur, prendre à leur tour une « leçon de constance et de fidélité » à l’égard de l’histoire, sans faire violence au passé.

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Notes:

1. À propos de ces multiples récits contradictoires, voir mon article « Les neuf vies de Toussaint Cartier », Le Mouton NOIR, vol. XIII, no 2, novembre-décembre 2007, p. 3.

2. Voir la gravure représentant l’intérieur de la maison de Toussaint Cartier reproduite dans l’article cité à la note 1.

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