Environnement

Un service environnemental pas comme les autres

Par Magella Guillemette le 2009/01
Environnement

Un service environnemental pas comme les autres

Par Magella Guillemette le 2009/01

Je m’en souviens très bien. On y voyait ces fiers bûcherons abattre les arbres de cette forêt que l’on disait infinie, les pêcheurs qui voyageaient sur des mers de poissons et les mineurs qui fouillaient les entrailles de la Terre. L’époque était sereine, la télévision, toute nouvelle et le documentaire, noir et blanc. C’était le début des années soixante. On affirmait que nos ressources étaient inépuisables et que la prospérité était au rendez-vous. Tout cela était facile à croire, la nation québécoise s’étant développée pendant plus de quatre siècles aux dépens de mère nature. On ne soupçonnait guère cependant les appétits gargantuesques des industries pour les ressources naturelles comparativement à l’autarcie qui avait guidé tant de familles québécoises1.

Les biologistes utilisent souvent l’expression « services environnementaux » pour désigner tous les avantages que les humains retirent à vivre dans un écosystème. Il s’agit soit de bénéfices apparents comme ceux que l’on tire de la forêt, des pêcheries, des mines et du sol, soit de bénéfices peut-être moins évidents comme la régulation des inondations, le recyclage des matières organiques, l’air que l’on respire et la pollinisation des plantes. C’est en raison de l’exploitation sans vergogne de certaines ressources que les économistes de l’environnement essaient tant bien que mal de quantifier la valeur utilitaire (économique) de tous ces bénéfices environnementaux. Pas une mince tâche, vous dites! Vous avez tout à fait raison. Pensez à l’eau potable, par exemple.

À mon avis, il ne faut pas tomber trop rapidement dans la logique comptable à tous crins puisque l’eau n’est pas un service environnemental comme les autres : la vie sans eau est inconcevable. Toutes les espèces animales et végétales confondues ont un besoin constant d’eau, car celle-ci occupe diverses fonctions essentielles à la vie. L’eau influence toutes les interactions moléculaires d’un organisme vivant. Donc, elle possède une valeur intrinsèque de par son rôle physiologique ou de par son rapport à la vie. Pourquoi croyez-vous que les scientifiques s’interrogent sur la présence de l’eau sur Mars? Sans trace d’eau sur cette planète, il est presque illusoire de vouloir y trouver la vie. On pourrait manquer de pétrole, de bois, de bauxite ou de farine, et la vie humaine serait encore possible… mais elle ne le serait pas sans eau. Nos politiciens doivent donc reconnaître cette différence fondamentale.

Comme vous vous en doutez, la disponibilité de l’eau potable non traitée (par une usine de filtration) a chuté durant les 40 dernières années dans la partie sud du Québec en raison de l’industrialisation et de l’intensification de l’agriculture. Cette situation risque de s’aggraver en raison des nouvelles règles imposées par le gouvernement provincial quant à la qualité de l’eau potable, ce qui aura comme répercussion que les municipalités vont rechercher avidement les sources d’eau souterraine, qui sont de meilleure qualité et qui ne nécessitent pas l’installation coûteuse d’une usine de filtration2. Dans le Bas-du-Fleuve, les médias régionaux ont rapporté le cas de certaines municipalités qui recherchent de l’eau potable de qualité comme Trois-Pistoles, Le Bic et plus récemment Rimouski. Cette dernière a vraisemblablement gagné le gros lot en localisant une source souterraine d’eau potable dans la région de la chute Neigette qui pourrait alimenter tout le grand Rimouski et ses 40 000 citoyens (en supposant que le projet soit finalement approuvé par le gouvernement fédéral). Comme la consommation moyenne d’eau par personne au Québec est d’environ 424 litres par jour (l’un des cinq plus grands consommateurs au monde), cela veut dire que l’aquifère de la rivière Neigette devra fournir environ 17 millions de litres par jour à tout le grand Rimouski. Vous admettrez que la Neigette va nous rendre un sacré service dans les années à venir. Mais comment chiffrer le coût de ce service?

L’exemple de New York3

Une illustration de la valeur économique d’un bassin versant est celui alimentant en eau potable la ville de New York. L’eau potable provient de la région des Catskills, une région montagneuse à 90 milles de la ville. Ce bassin versant a alimenté New York en eau potable de qualité pendant quelques décennies. Durant les années 1990 cependant, la qualité de l’eau s’est mise à se dégrader sous l’intensification de l’agriculture et l’accroissement du nombre de villégiateurs. Faisant face à une facture de 6 à 8 milliards pour construire une usine de filtration et de 300 millions annuellement pour l’exploiter, les administrateurs de la ville se sont alors rapidement informés pour savoir si la situation écologique du bassin versant des Catskills était réversible. Oui, elle l’était, mais à un coût tout de même substantiel, soit de 1 à 1,5 milliard de dollars4. Cela ne vous surprendra pas, la ville a choisi l’option écologique qui consiste à conserver le bassin versant comme source d’eau potable et s’est fixé l’objectif de remédier à toute action de pollution. Elle a donc acquis plusieurs milliers d’acres de terrain, amélioré les systèmes d’égouts de cette région et signé des contrats de conservation et de non-pollution avec les propriétaires de lots. En optant pour la solution écologique, la région métropolitaine de New York venait de statuer sur la valeur utilitaire de l’eau potable, soit environ cinq milliards de dollars, ce qui exclut les coûts annuels d’exploitation d’une usine de filtration.

Je vous entends réfléchir tout haut : « Oui, mais Rimouski, ce n’est pas New York, tout de même! » D’une part, on n’a pas à être impressionné par New York, ils ont leurs Rangers et nous, l’Océanic. D’autre part, le cas de la rivière Neigette est analogue, toutes proportions gardées, à celui du bassin versant des Catskills dans la mesure où les moyens financiers vont de pair avec les besoins en eau potable. Je n’ai pas été capable de joindre les responsables de ce dossier à la ville de Rimouski qui ont sûrement chiffré les économies réalisées en comparant le coût des eaux souterraines et celui de la construction d’une usine de filtration. Mais admettez quand même que l’exemple de New York est inspirant. Imaginez, un plan de conservation du bassin versant de la Neigette où l’on qualifie et quantifie la gestion des terres, où on documente les activités agricoles et forestières, où l’on effectue une surveillance régulière des quantités de nutriments relâchées dans le bassin, où l’on dédommage les forestiers ou les agriculteurs pour une utilisation incomplète de leur terre, où l’on investit dans des projets de recherche pour connaître davantage l’aquifère nourricier, etc. La ville de Rimouski pourrait ainsi assurer la conservation de cette merveilleuse ressource et prendre une part active dans la gestion du bassin versant de la Neigette. Est-ce que je rêve ou suis-je éveillé?

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Notes:

1. Les Sirènes du Saint-Laurent de Roger Fournier (paru en 1995 aux éditions Trois-Pistoles) offrent un exemple patent d’une famille bas-laurentienne vivant dans cette condition.

2. Voir Magella Guillemette, « Neigette, la rivière de toute une région », Le Mouton NOIR, vol. XIV, no 2, p. 7.

3.  Je remercie Patrick Morin du département de biologie et géographie de l’UQAR pour m’avoir fait connaître le cas de New York.

4. On trouve toute cette information et davantage dans le livre de Geoffrey Heal, Nature and the Marketplace. Capturing the Value of Ecosystem Services, Washington, Island Press, 2000.

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