La guerre aura été longue et elle n’est peut-être pas terminée; le promoteur du parc éolien de Sainte-Luce, Kruger énergie, ne donne aucune nouvelle et n’accorde aucune entrevue. Un mois après le référendum sur le règlement municipal interdisant les éoliennes sur une bande de 5 km le long du fleuve – où les citoyens appuyant le règlement l’ont emporté 503 contre 457 –, une certaine tranquillité provisoire s’est installée.
Au dévoilement des résultats référendaires, les médias se sont empressés de décrier le « faible » taux de votation de 41 %. Pourtant, si on le compare à celui des dernières élections municipales du Québec, dont le taux de participation n’a été que de 45 %, tout est relatif. Soulignons que 89 % des gens habitant la zone du domaine éolien projeté ont exercé leur droit de vote. Et dans ce secteur des rangs 2 et 3 Est, la grande majorité s’est exprimée en faveur du règlement interdisant les éoliennes, et ce, malgré le fait que certains fermiers se soient prévalus du double vote, leur entreprise leur donnant droit à une voix supplémentaire.
Et si les riverains et les autres secteurs de Luceville ne se sont pas déplacés, c’est sans doute qu’ils se sentaient moins concernés, ce qui est peut-être mieux ainsi. Ils n’auront pas à voir, entendre, ou subir les inconvénients du parc. Pourtant, 75 % des gens qui ont signé le registre pour abolir le règlement n’habitaient pas les rangs où le parc doit être implanté. Le spectre de la crise des taxes récente les aura amené à s’opposer à la fois au conseil municipal et au règlement.
Pour en être où nous en sommes aujourd’hui, il aura fallu que des citoyens apprennent par hasard l’existence du projet en novembre 2007, le dévoilent publiquement dans le journal local, créent un blogue d’information, et posent des questions lors des assemblées municipales. C’est ainsi que les principaux concernés apprirent que leur conseil municipal avait appuyé le projet éolien sans consulter sa population. Il avait inclus dans sa résolution d’août 2007 un référendum conditionnel à la poursuite du projet. Jamais pourtant il n’en avait été question dans le feuillet d’information municipal, ni même dans les médias. Les citoyens, révoltés, étaient en colère contre le conseil municipal pour leur avoir caché le projet, et surtout pour l’avoir appuyé et accepté sans négocier le montant des redevances.
Suite à l’annonce du résultat de l’appel d’offres en 2008, le comité de vigilance a vu le jour, formé de citoyens qui avaient tous la même conviction : ce projet est une pure folie! 34 éoliennes de la hauteur du Complexe G à Québec, érigées dans un site de la plus haute valeur paysagère (selon une étude de Ruralys (2008) commandée par la CRÉBSL), sur les meilleures terres agricoles à l’est de Rivière-du-Loup (selon le MAPAQ), dans un corridor d’oiseaux migrateurs (selon le MRNF), et dans une zone habitée et touristique le long du fleuve. Des redevances ridicules de moins de 1 % des revenus projetés (un conseiller m’a avoué se sentir traité comme un Sauvage à qui l’on offrait des miroirs et de la pacotille en échange de richesses naturelles), des contrats d’options superficiaires avec clause de confidentialité signés avec les propriétaires terriens, mais surtout des citoyens non consultés et bafoués dans leur droit à la démocratie.
Ce qui a sans doute nui à la bonne marche du projet aura été la maladresse du promoteur. À l’automne 2008, le conseil municipal de Sainte-Luce décide de ne pas participer à la table de concertation initiée par Kruger et présidée par le préfet, résolument rangé du côté du promoteur. Le conseil ne veut pas promouvoir le parc sans consulter sa population et le promoteur déclare publiquement, à sa seule soirée d’information de l’automne 2008, et suite aux questions soutenues d’un membre du comité de vigilance, que le référendum conditionnel ne le concerne pas.
Piqués par la mauvaise foi de Kruger, les conseillers adoptent le règlement qui aura été une façon originale d’aller chercher l’opinion populaire. Mais ces démarches ne seront pas faciles et le promoteur, de même que le préfet, écrivent aux citoyens de ne pas appuyer leur conseil municipal. Même l’annonce de l’abandon du projet par Kruger, le 16 mars dernier, aura des allures de pression pour faire passer le comité de vigilance et les élus municipaux pour des « méchants », point de vue relayé par certains médias favorables au projet.
De plus, Kruger s’est bien gardé de dévoiler que Nav Canada lui avait refusé – deux mois avant son retrait – les 7 éoliennes de Sainte-Flavie. Le projet avait donc déjà du plomb dans l’aile.
La municipalité de Sainte-Luce a conservé sa ligne directrice : vouloir sonder la volonté des citoyens malgré les pressions du préfet, de la table de concertation de Kruger et des propriétaires terriens désireux d’obtenir des redevances. On pouvait sentir que l’enjeu monétaire en irritait certains qui ne se gênaient pas pour viser « bas » sur certains sites de discussion et dans les assemblées publiques. Le comité de vigilance s’est vu accuser de s’opposer au développement, de faire preuve de nombrilisme et d’étroitesse d’esprit, entre autres, car il était supposément contre l’énergie verte : le lavage vert (greenwashing) frappait fort. On a même assisté à une consultation publique pratiquement bidon à la MRC lorsque le comité d’aménagement, présidé par le préfet, a finalement décidé de ne plus protéger la bande de 5 km le long du fleuve, et ce, malgré la présence d’une quarantaine d’opposants de diverses municipalités. Après vérification, seulement trois mémoires pro-éoliens ont été déposés à cette consultation contre 14 demandant la protection du littoral. Il aurait été pourtant logique de continuer dans la même veine que les MRC voisines, Rimouski-Neigette, Rivière-du-Loup et Kamouraska, qui ont toutes opté pour la protection d’une bande riveraine de 3 à 5 km.
Autre fait notable, et probablement peu fréquent, le comité de vigilance est devenu, d’opposant en 2007, le groupe qui demandait en 2009 aux citoyens d’appuyer leurs élus municipaux. Pour une fois, un conseil municipal est demeuré non partisan d ‘un projet, et ses membres n’ont pas été en conflit d’intérêts, comme ça s’est vu en Gaspésie.
Après le spectacle désolant des paysages côtiers à l’est de Sainte-Flavie ayant perdu leur côte sauvage et unique avec l’implantation de parcs éoliens visibles de la route panoramique de la Gaspésie, au moins une municipalité aura jugé que son intégrité valait mieux qu’un hypothétique apport économique à court terme. L’avenir, et ses avancements technologiques en matière d’énergie, nous confirmera que nous avons bien fait d’investir dans nos paysages afin de les conserver indemnes pour les générations futures.