Le glas sonne pour le petit entrepreneur, l’agriculteur transformateur, le producteur, tous ceux qui contribuent à nourrir le citadin et ses enfants. Nous n’en sommes pas au premier round, pourtant, avec les multiples commissions tenues en agriculture et en alimentation, mais ce coup-là, personne ne l’a vu venir et il frappe très durement les petits transformateurs.
Peut-être le saviez-vous déjà? Il sera désormais obligatoire, pour toutes les entreprises (peu importent leur niveau de revenu, leur taille), d’apposer une étiquette donnant la valeur nutritive sur tous les produits transformés destinés aux tablettes de nos épiceries, et ce, avant la fin de 2007.
Sachant qu’il en coûte, en moyenne, de 600 à 1000 dollars pour faire effectuer l’analyse d’un produit, comment croyez-vous que nous pourrons absorber ces coûts?
Même ceux qui n’en ont pas les moyens devront se conformer à la loi. Il y aura désormais une police, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), qui verra à nous retourner vendre nos produits dans nos fermes et nos villages. Dans ce contexte, il ne faut pas se le cacher, la vente à la ferme sera synonyme de commerce équitable. Les produits alimentaires de production et de transformation artisanales seront contenus par la loi du plus fort.
Désormais, avant même de penser à créer une recette et de voir à sa mise en marché, nous devrons prévoir l’analyse en laboratoire. Il faudra en connaître toute la teneur en composants chimiques, nutritifs et autres composés moins « santé ».
Quand nous avons choisi le métier d’agriculteur transformateur, nous aspirions à un idéal de liberté. Nous voilà contraints au piétinement, après avoir cuisiné une ou deux recettes. Dans le cas de TerSoleil, sur plus de quinze produits, transformés et commercialisés à partir de notre ferme, seulement cinq passeront la date butoir et pourront être proposés aux consommateurs dans les supermarchés (la cour des grands joueurs).
Il est clair que de nombreux producteurs transformateurs ne pourront même plus penser faire de la tarte aux framboises fraîches pour la vendre au marché du coin sans se faire préalablement certifier « saine de contenu » par l’ACIA. Les multinationales et les grandes corporations alimentaires seront « rois et maîtres à bord », au grand dam des populations urbaines qui réclament des aliments régionaux de qualité. Les produits de la terre n’auront qu’à retourner dans leur région.
Pour les associations de « malnutritionnés » de ce monde, toute une victoire! Après avoir éduqué la population en apposant des étiquettes « Valeur nutritive / Nutrition Facts » sur les canettes de boissons gazeuses, par exemple, profitant de l’intérêt créé pour les « lipides », « sodium », « glucides », etc. au sein de la population, il faut maintenant lui faire apprendre scientifiquement comment se nourrir. La liste des composants chimiques? Pour qui? Pourquoi?
Nous nous sentons impuissants. Nous avons, pour notre part, choisi de continuer, d’aller de l’avant, de jouer du coude pour un monde plus viable et durable à transmettre à nos enfants, mais pour combien de temps, avant que l’on nous enrôle avec un bel uniforme, qu’on nous gave de capsules insipides sur lesquelles sera inscrit « ACIA/ avec OGM, pesticides, gaz à effet de serre »?
Merci aux bien-pensants de ce monde de voir à notre bien-être collectif.
Chantal Duchesne et Jean-Marc Bélanger
Producteurs et transformateurs
Saint-Cyprien