LA FORÊT DES MAL-AIMÉS?
Imaginez un parc à Rimouski où des rencontres de toutes sortes sont possibles… Un lieu fréquenté principalement par des hommes. Des hommes mariés, divorcés, célibataires, gais, bisexuels, hétéros, etc. Dans le cadre de mon travail, on les appelle des H.A.R.A.S.A.H. Que se cache-t-il derrière cet acronyme aux sonorités arabes? Eh bien, des hommes ayant des relations affectives et sexuelles avec d’autres hommes. Ma mission, en tant que travailleur de rue, est de leur distribuer des trousses de prévention (condoms et lubrifiants). Très souvent, j’ai partagé un banc public avec plusieurs d’entre eux.
Paul, un habitué, vient dans ce parc depuis plus de vingt ans. « Ici, c’est un lieu où tu fraternises avec un journaliste, un fonctionnaire, un concierge, c’est vraiment mélangé! » En d’autres mots, c’est un endroit où les classes sociales s’effritent rapidement. Un grand sentiment de confrérie s’est installé depuis toutes ces années. Ce qui revient souvent dans les témoignages, c’est le manque d’espaces gay friendly à Rimouski. Cela dit, poursuit Paul, « nous ne voulons pas de village gai comme à Montréal pour ainsi éviter la ghettoïsation. Par contre, il n’y a vraiment pas de lieux de socialisation à Rimouski, sauf au bar Au Lau à l’occasion ».
LE POIDS DES ÉTIQUETTES
On constate des différences entre les H.A.R.A.S.A.H vivant à Montréal et ceux qui vivent en région, notamment dans le fait que ces derniers « se déclare[nt] d’orientation bisexuelle plutôt qu’homosexuel[s] (16,3% en région contre 7,5% à Montréal et environs)1». En région, l’étiquette d’homosexuel fait-elle plus mal, c’est-à-dire représente-t-elle une stigmatisation accrue? Est-ce que ça passe mieux de se dire bisexuel au lieu d’homosexuel?
Qu’en est-il de l’homosexualité au féminin ici, en région? Katryne, intervenante communautaire et ouvertement bisexuelle, répond : « Ici, on a du mal à s’identifier en tant que “ gai ”. Une fois, une amie m’a demandé, lors d’une soirée dansante : “ Elles le sont-tu toutes? ” “ Toutes quoi? ” lui ai-je demandé, éberluée. Y a vraiment un tabou à nommer ce désir. » Le manque de lieux, d’événements, de ressources et surtout de regroupements (le Regroupement des lesbiennes et gais de l’Est du Québec a cessé ses activités en 2004) ou d’associations renforce ce sentiment d’invisibilité éprouvé par plusieurs.
ET LES RESSOURCES?
Pierrot commence à assumer son homosexualité à 52 ans. Il vit dans un rang éloigné : « Ici, dans cette MRC, quand on cherche des ressources, on nous dirige vers Gai Écoute dont les intervenants sont basés à Montréal et ne connaissent pas du tout la réalité des régions. À leurs yeux, je n’ai pas à me soucier du jugement de mes voisins. Sauf qu’ici, on n’a pas le luxe de se passer d’eux! Le tissu social est tout autre qu’en ville », dit-il sans ambages.
On adresse aussi les gens au Mouvement d’aide et d’information sida du Bas-Saint-Laurent (M.A.IN.S. BSL), surtout durant l’été, car le poste de travailleur parc a ce double mandat (prévention et personne-ressource auprès des homosexuels). Cependant, il y a un désir de dissocier le VIH et l’orientation sexuelle, pour ne pas renforcer certains préjugés selon lesquels les gais sont les principaux porteurs du virus. Le directeur, Serge Dumont, suggère : « Il faudrait une instance autonome ici, dans la région, qui s’occuperait uniquement de la question des orientations sexuelles. Un organisme sans but lucratif qui se spécialiserait dans les réalités LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels et transsexuels) et aussi celles des bi-spirituels (dans la communauté autochtone, il s’agit d’une personne privilégiée qui a deux esprits, l’un masculin, l’autre féminin). Cet organisme pourrait travailler en partenariat avec le Centre de crise, le CLSC, etc. »
Pourquoi le gouvernement ne finance-t-il pas une telle initiative, considérant le taux de suicide élevé des jeunes hommes? M. Dumont poursuit : « Ce n’est pas une priorité. Vu qu’on est en région, donc moins nombreux qu’en ville, cette problématique est souvent occultée dans l’esprit de nos élus! »
Avoir mauvais genre?
Quelle différence y a-t-il entre un gai en région et un gai dans un grand centre urbain? Est-ce que deux hommes efféminés qui s’embrassent sur la rue principale, à Rimouski, ça passerait bien? Bruno, 25 ans, natif de cette ville : « Non, pas du tout, ça serait de la provocation! On tolère ton homosexualité, mais en autant que cela ne paraisse pas trop et que tu ne sois pas trop fif! » Ici, les normes sociales passent par le respect des genres. Pas question de transgresser ces dernières frontières! Un homme doit rester un mâle.
Est-ce que la vie homosexuelle est incompatible avec la soi-disant homophobie des régions? Pour continuer à réfléchir sur l’homosexualité et la vie en région, je vous invite à consulter le collectif Homosexualités. Variations régionales2. Une trentaine de chercheurs se sont penchés sur ces questions. À lire absolument!
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Notes:
1. L’auteur a été travailleur parc à l’été 2007.
2. Sous la direction de Danielle Julien et Joseph Josy Lévy, Homosexualités. Variations régionales, Québec, Presses de l’Université du Québec, coll. « Santé et société », 2007.