
À l’occasion de la Journée nationale des patriotes et de la Fête nationale du Québec qui approchent à grands pas, relisons un essai paru en 2020 sous la plume du patriote et militant du Kamouraska Roméo Bouchard, Le rêve de Champlain, de Papineau et de Lévesque. UN PEUPLE !
« Nous ne sommes pas une vieille souche en décomposition,
nous sommes un grand arbre qui peut encore
donner des fruits pour nous et ceux qui nous entourent. »
– Roméo Bouchard
Une fois de plus, le prolifique et infatigable auteur de 85 ans Roméo Bouchard prend du recul et de la hauteur de vue. Dans ce troisième opus d’une trilogie d’essais portant sur la démocratie et la citoyenneté québécoise inspirés d’aspects méconnus de la pensée de René Lévesque, il partage et vulgarise le fruit de sa longue observation de l’évolution de l’âme québécoise. Il portait en lui depuis longtemps « ce livre sur le Québec, mon pays natal ». L’ont précédé Pour une sortie de crise digne du Québec. Décentralisations-nous !, écrit en collaboration avec son allié de toujours André Larocque, ancien sous-ministre responsable de la réforme démocratique sous le gouvernement Lévesque, et l’ouvrage René Lévesque, un héritage démocratique toujours d’actualité, que Bouchard a préfacé.
Cette fois seul à la barre, Bouchard s’est donné le défi de répondre à une question lancinante qui a obsédé et obsède toujours tant des nôtres : le Québec a-t-il un avenir comme nation distincte dans un continent dont la culture hégémonique tend à niveler les différences? Pour y répondre, dit-il, on doit d’abord étudier trois autres sous questions : D’où venons-nous? Qui sommes-nous? Et où allons-nous comme peuple?
C’est en nous montrant la continuité qui unit Samuel de Champlain, Louis-Joseph Papineau et René Lévesque que Bouchard arrive à convaincre que la meilleure réponse est un oui renouvelé à nous-mêmes. Ces trois figures marquantes de notre histoire politique, « phares de notre identité, icônes », comme les qualifie Bouchard, se sont trop longtemps limitées à des « caricatures partisanes ».
Champlain, le visionnaire
L’auteur se concentre d’abord sur « l’immense personnage et le projet unique » de Samuel de Champlain. Ce navigateur, cartographe, soldat, explorateur, géographe, commandant et auteur de récits de voyage, est beaucoup plus que le fondateur de la ville de Québec… Grâce à son alliance avec les coureurs des bois et les autochtones, il aura créé rien de moins que trois peuples de langue française sur ce continent : les Acadiens, les Métis et les « Canayens », devenus Québécois.
Par la signature de traités d’alliance avec plusieurs nations (1603 et 1609), Champlain a aussi jeté les bases de la Grande paix de Montréal, en 1701, aboutissement de longues négociations menées avec 39 nations autochtones de l’Est de l’Amérique. « Sans cette alliance, estime Bouchard, il est peu probable que nous serions là aujourd’hui. » Il retient aussi de nombreux passages du colossal ouvrage de David Hackett Fischer Le rêve de Champlain. « Champlain entrevoyait un monde nouveau où des gens de cultures différentes pourraient vivre ensemble dans l’amitié et la concorde. » Devant la première « habitation » de Québec, Champlain s’exclame d’ailleurs : « Quand cette grande maison sera faite, alors nos garçons se marieront à vos filles, et nous ne formerons plus qu’un seul peuple. » Ainsi naquit le peuple métis.
En somme, pour Bouchard, nous sommes les héritiers du rêve exceptionnel de Champlain, « le véritable père de l’Amérique française et de la nation québécoise », et ce, malgré le choc de la conquête anglaise.
La république de Papineau
Bouchard replace ensuite Louis-Joseph Papineau sur un piédestal à sa mesure, en tant que premier grand réformateur républicain de notre histoire. Il souligne à quel point « le clergé complice et les collaborateurs serviles du régime anglais, les réformistes » l’ont dénigré. Il cherche à redonner toute son ampleur à l’ambitieux rêve républicain de Papineau. Non, le chef patriote n’a pas trahi ou fui. Au contraire, il a dénoncé jusqu’à son dernier souffle les demi-mesures, comme ce « gouvernement responsable » lâché en pâture aux anciens patriotes déchus et trop souvent vire-capot, l’Union du Haut et du Bas-Canada, et cette mal nommée Confédération, compromis de perdants.
Même si les trois valeureux députés du Parti québécois de Paul Saint-Pierre Plamondon sont les premiers de notre histoire à s’être soustraits au serment d’allégeance à la monarchie britannique, il y a encore loin de la République aux lèvres. Le Québec larguera-t-il les amarres monarchiques avant le Canada, ou sera-t-il assez patient pour attendre que le fruit soit mûr au Canada anglais?
Lévesque, le Grand réformateur
Quant à René Lévesque, Bouchard lui attribue l’étiquette de « réformateur démocratique ». Figure de proue de la Révolution tranquille, qui « fut une vraie révolution, de celles qui refondent un pays, libèrent un peuple et redéfinissent une société ». Lui aussi a su « incarner le rêve des Québécois à un moment charnière ».
Que les trois rêves de ces trois géants se soient brisés sur autant de murs « ne signifie pas qu’ils sont perdus ou sans effet », comme le rappelle avec justesse André Larocque en préface. Dans sa conclusion « Québec, mort ou vivant ! », Bouchard invite les Québécois et les Québécoises à accueillir et à intégrer la diversité grandissante sans renier leur culture. Le français, langue commune, en constitue la pierre d’assise.
Roméo Bouchard, Le rêve de Champlain, de Papineau et de René Lévesque. Un peuple !, préface d’André Larocque, Éditions Lambda, 2020, 215 p.