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Le paradoxe des universitaires

Par Jean Bernatchez le 2022/08
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Le paradoxe des universitaires

Par Jean Bernatchez le 2022/08

L’Assemblée nationale du Québec a adopté en juin 2022 le projet de loi no 32 sur la protection de la liberté académique. Cette loi permet au gouvernement de définir ce qu’est la liberté académique universitaire et de s’assurer que les universités se dotent d’une politique institutionnelle visant à la reconnaître, à la promouvoir et à la protéger. Pourquoi une telle loi à ce moment-ci? N’est-ce pas un paradoxe que d’imposer la liberté par le biais d’une loi? Les points de vue sont contrastés, mais le projet de loi est plutôt bien accueilli.

POURQUOI LÉGIFÉRER SUR LA PROTECTION DE LA LIBERTÉ ACADÉMIQUE?

Selon la nouvelle loi, « le droit à la liberté académique universitaire est le droit de toute personne d’exercer librement et sans contrainte doctrinale, idéologique ou morale, telle la censure institutionnelle, une activité par laquelle elle contribue à l’accomplissement de la mission d’un établissement d’enseignement. Ce droit comprend la liberté : 1) d’enseigner; 2) de faire de la recherche et d’en diffuser les résultats; 3) de critiquer la société, des institutions, des doctrines, des dogmes et des opinions; 4) de participer librement aux activités d’organisations professionnelles ou d’organisations universitaires1. »

Dans plusieurs universités, le droit à la liberté académique est déjà inscrit dans des textes normatifs, notamment dans les conventions collectives des professeures et des professeurs, mais ce n’est pas le cas partout. Dans les circonstances, ce droit est différemment interprété lorsque surgit un problème. Cependant, malgré la reconnaissance du principe, les administrations universitaires québécoises sont peu enclines à défendre leurs professeures et professeurs lorsqu’ils sont confrontés à une situation qui remet en question la liberté académique. Le rapport Cloutier sur la reconnaissance de la liberté académique fait état d’un grand nombre de problèmes documentés impliquant la liberté académique.

Ces problèmes peuvent être traduits par certains concepts génériques : avertissement préventif que le contenu d’une lecture ou d’un cours peut offenser; microagressions commises par des membres de la culture dominante; appropriation culturelle d’une culture dominée par une autre culture, dominante; désinvitation, soit refus de la présence à l’université d’une personne dont on ne partage pas les idées; espaces protégés permettant d’être à l’abri des mots qui dérangent ou qui rendent mal à l’aise; épuration et censure des corpus de lectures et des bibliothèques; etc.2

En contexte de pandémie et au moment où de nombreux problèmes interpellent le gouvernement québécois, pourquoi légiférer en priorité sur la protection de la liberté académique? Pour trois raisons, principalement : 1) c’est rentable sur le plan politique puisque la défense du principe de liberté est généralement bien accueillie dans l’espace public; 2) cela ne commande pas l’ajout de ressources financières; 3) c’est en adéquation avec la culture politique du gouvernement caquiste, paternaliste et habitué à pratiquer l’ingérence politique.

UN PARADOXE : IMPOSER PAR UNE LOI L’EXERCICE D’UNE LIBERTÉ

Le principe de liberté académique s’applique aux personnes, mais il a comme corollaire le principe d’autonomie universitaire qui s’applique à l’institution. La liberté académique existe à cause de l’autonomie universitaire, et vice-versa. Ces deux dimensions d’une même réalité rendent compte de la nécessité pour l’université, comme institution, de préserver une distance critique par rapport à la société, à la politique et à la religion. Ainsi, imposer par une loi l’exercice d’une liberté constitue un paradoxe. Les administrations universitaires ont témoigné de cette incohérence, elles ont émis des réserves par rapport à l’adoption d’une loi et elles ont réaffirmé leur compétence exclusive à ce chapitre. En outre, les professeures et les professeurs, notamment par la voie de leurs organisations syndicales, ont bien accueilli le projet de loi parce que, inscrit à une loi, le principe de liberté académique est susceptible d’être mieux reconnu, promu et protégé par les administrations universitaires. Cependant, les organisations syndicales ont déploré l’absence d’une disposition dans la loi au sujet de l’obligation de l’administration universitaire de prendre fait et cause lorsqu’un membre de son personnel est visé par une procédure judiciaire, notamment lors des poursuites-bâillons.

1. Assemblée nationale du Québec, « Projet de loi no 32 », 2022, http://m.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-32-42-2.html

2. Normand Baillargeon (dir.), Liberté surveillée. Quelques essais sur la parole à l’intérieur et à l’extérieur du cadre académique, Leméac, 2019, 272 p.

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