
Avec la pandémie, les perturbations sur les chaînes d’approvisionnement internationales ou les changements climatiques, les défis sont nombreux pour les acteurs de l’industrie de la pêche dont le marché est principalement tourné vers l’international. Sandra Gauthier, directrice d’Exploramer et initiatrice du programme Fourchette bleue, travaille à développer le marché local pour les espèces marines du Saint-Laurent, car elle soutient qu’« avec une plus petite pêche, mais plus diversifiée, les pronostics pour l’avenir seraient meilleurs ».
L’industrie de la pêche est vulnérable face à plusieurs facteurs. Les produits du Saint-Laurent qui sont exportés sont des produits de luxe et une crise économique ou une récession peut faire en sorte que les pêcheurs vont avoir plus de difficulté à écouler leurs stocks sur les marchés internationaux. Aussi, avec le déclin de certaines espèces dans le fleuve, cela peut amener des pans de l’industrie à s’effondrer, explique Sandra Gauthier.
Au printemps dernier, le gouvernement du Canada avait justement interdit la pêche au hareng et du maquereau dans certaines zones pour permettre de régénérer les stocks de poissons. Plusieurs pêcheurs ont ainsi été obligés de rester à quai.
Une plus petite pêche diversifiée
La résilience de l’industrie de la pêche pourrait en partie passer par une pêche qui vise moins la quantité que la diversité, selon la directrice d’Exploramer : « Il faut qu’on revienne à une plus petite pêche avec moins, en termes de quantité, mais plus, en termes de qualité de poisson. Il faut aussi faire la transformation et la conservation du poisson du Québec, au Québec, le plus possible ».
Cela permettrait aussi de valoriser le travail des pêcheurs du Québec. « Depuis 30 ans, on a beaucoup fait la valorisation des fromagers, on a beaucoup valorisé nos maraîchers, on a beaucoup valorisé tous les métiers de la table qui sont plus artisanaux, mais la pêche, on ne l’a jamais fait parce que nos produits sont entièrement exportés. Les gens, ils veulent aussi avoir cette fierté-là — de dire qu’ils contribuent à nourrir le Québec — », souligne madame Gauthier.
Éviter le gaspillage en mer
La diversification des pêches permettrait aussi d’éviter le gaspillage en mer, car plusieurs espèces comestibles du Saint-Laurent qui pourraient être un bel apport à l’alimentation des Québécois d’un point de vue gastronomique ou nutritif sont pêchées et ils sont tout simplement rejetés en mer, indique Sandra Gauthier.
« Juste pour donner une image, quand un bateau de pêche va en mer et qu’il fait un trait de chalut, il descend son filet dans l’eau, il avance, il capture des poissons, il remonte le filet à la surface et il le dépose sur le pont du bateau. S’il est parti par exemple pour aller à la pêche au turbot, il va avoir plus que des turbots dans le filet, il va avoir plein de poissons différents. Tout ce qui n’est pas du turbot, tout ce qui n’est pas intéressant d’un point de vue de la valeur économique, autant sinon plus que le turbot, va aller par-dessus bord donc on va le rejeter à la mer, mais souvent ce poisson-là il est mort », précise-t-elle.
Le programme Fourchette Bleue dresse chaque année une liste des espèces du Saint-Laurent à valoriser. Bien que ces espèces soient comestibles et qu’elles auraient un potentiel à être commercialisées, plusieurs de ces espèces sont pourtant rejetées en mer. Elle rappelle donc qu’il est important de valoriser plusieurs espèces du Saint-Laurent afin de moins gaspiller et de faire en sorte que les pêcheurs puissent avoir une rétribution financière intéressante pour chacun des poissons qu’ils pêchent.
« Si on récupérait ces poissons-là et qu’on leur donnait une valeur économique, c’est toute une gestion durable du Saint-Laurent en termes d’écologie, en termes d’environnement, en termes d’économie aussi. On pourrait mieux procéder », indique-t-elle.
La diversification de la pêche permet aussi aux pêcheurs d’être moins longtemps en mer : en réalisant moins de rejets en mer, ils vont faire moins de traits de chalut pour remplir leur cale et ainsi réduire leur consommation de carburant.
Attacher tous les maillons de la chaîne à peu près en même temps
Ce n’est toutefois pas si simple de commercialiser les espèces du Saint-Laurent au Québec. Comme la durée de fraîcheur d’un poisson est courte, il faut pouvoir attacher tous les maillons de la chaîne à peu près en même temps, et ce, sur des espèces bien précises. Il faut non seulement convaincre le pêcheur de ramener le poisson à quai, il y a aussi l’usine, le distributeur, la poissonnerie et le client à persuader, précise la directrice d’Exploramer.
C’est dans ce contexte qu’un premier salon Fourchette bleue a été organisé en février 2022 afin de réunir les producteurs, transformateurs, distributeurs, mariculteurs, poissonniers, restaurateurs, représentants institutionnels et partenaires d’affaires. Cette foire commerciale avait pour but d’encourager les acheteurs à s’approvisionner de poissons et fruits de mer du fleuve Saint-Laurent. Une prochaine édition est prévue à l’hiver 2023.
Fourchette Bleue établie chaque année une liste des espèces du Saint-Laurent à valoriser, mais afin que les consommateurs sachent où se les procurer, il y a aussi la certification Fourchette bleue pour les établissements qui vendent au moins deux espèces sur la liste. Le nombre d’établissements certifiés serait en pleine croissance.
Dans le contexte d’une hausse du coût des aliments, les consommateurs pourraient aussi y trouver leur compte. Certaines espèces sont plus abordables, telles que la Baudroie d’Amérique ou les algues du Saint-Laurent. Ces dernières peuvent aussi être une option intéressante pour une alimentation sans viande : « Tous les gens qui enclenchent le mouvement de végétarisme, de véganisme, on entend beaucoup parler de ça dans les dernières années. Ils ont droit aussi à leurs produits marins. On a une grande quantité d’algues au Québec, des algues qui sont saines, qui sont nutritives, qui sont croquantes, qui sont sucrées, on en a beaucoup », rappelle madame Gauthier.