
On ne s’est jamais rencontrées (je te connais par ta musique et par ta place dans l’espace culturel), mais j’ai quand même décidé de t’écrire. Avec le temps, c’est devenu une sorte de nécessité. Dans les derniers mois, j’ai souvent eu envie de te contacter à travers les réseaux sociaux. De répondre à une de tes stories hilarantes et de si bon goût, mettant en vedette une chansonnette de ton cru ou une aventure avec Pizzaghetti. Tes stories qui me redonnent le sourire les jours tristes, quand mon reflet paraît aussi sale que la vaisselle dans l’évier. Combien de messages reçois-tu par jour ? Tu ne liras peut-être pas celui-ci. Ce n’est pas grave. Mon urgence est publique. Je suis portée par un désir exhibitionniste : témoigner publiquement de mon amour pour ta musique.
On a parlé de toi pour bien des raisons, mais trop peu pour ta musique. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit, car justement : on en a trop parlé. Moi, j’ai envie de souligner ton talent. De dire que je trouve ta voix magnifique. Est-ce que ça t’est déjà arrivé qu’une voix te donne des frissons, comme si elle te traversait la peau ? Je suis gênée de le dire, mais c’est ce que ta voix me fait ressentir. C’est de ça que je veux parler. Et de tes chansons qui m’ont accompagnée, qui m’ont bercée en des moments significatifs ces dernières années. La laideur en boucle sur la route vers le Bas-Saint-Laurent, dans mon camion loué trop cher en pleine pandémie, ras-le-bol majeur de la vie, de la ville, avec le goût de crisser mon camp loin pour me refaire une vie ; Lesbian Break-up Song en peine de cœur, évidemment, avec la joie de savoir au moins que je pleure sur une chanson lesbienne pour une ostie de fois ; Miroir pour me souvenir que mon corps, que les corps n’ont pas besoin d’excuse pour exister, malgré les voix qui persistent dans ma tête ; la force brute de SEUM pour me défouler, les jours où la connerie du monde m’atteint avec une trop grande force de frappe ; sans oublier tes reprises, que je fais jouer lors de soirées entre amies, et que tu t’es si bien réappropriées que dans certains cas je pense que je ne reviendrai jamais à l’originale (oups). La poésie de tes textes est puissante. Ta musique est douce et unique ; elle fait du bien, à moi et à tant d’autres que je connais.
C’est un lieu commun, peut-être, mais je voudrais saluer ta force. Personnellement, je crois que la force vient d’une capacité à se rendre vulnérable. Contradictoire ? Non. Le fait de se montrer soi-même authentique nous rend vulnérables : on s’expose au jugement de l’autre, à son empreinte. Être vulnérable demande une grande ouverture et beaucoup de courage. À mes yeux, c’est une forme d’optimisme, car la majorité n’a pas ce courage. La majorité se cache et reste prise avec des blessures, de multiples désirs et personnalités refoulées. Je crois que c’est pour cette raison que l’authenticité et le naturel choquent autant le public. Il y a si peu de gens qui se donnent le droit d’être eux-mêmes.
On dit parfois que tu agis par désir de provocation ou pire, par autodestruction. Ces gens-là ne comprennent-ils rien ? Ne comprennent-ils pas que ce n’est rien de plus et rien de moins qu’une personne qui se montre dans sa vérité ? Que cette vérité est nécessaire, qu’elle donne de l’espoir et de la portance à toute une communauté ? De la part d’une pansexuelle refoulée bien trop longtemps, merci pour le courage et l’optimisme d’être toi-même, Safia Nolin, avec toute la vulnérabilité que tout ça implique. Surtout dans un monde aussi contraignant et haineux, qui force les êtres à plier sous le poids de normes malsaines et irréalistes. J’aurais aimé voir une musicienne comme toi plus tôt dans ma vie, à l’adolescence. Il me semble que j’aurais compris certaines choses plus vite. Il me semble que j’aurais eu moins honte d’être qui je suis.
Tu joues cette semaine à Rimouski, et je serai aux premières loges, à t’écouter jouer en personne pour la première fois enfin, à crier mon amour comme je l’ai fait dans cette lettre, mais avec ma voix. En mars dernier, Hugo Dumas demandait dans La Presse s’il était possible de parler de toi sans jouer dans les extrêmes. Honnêtement, je m’en fous d’incarner un extrême : je t’aime. On a-tu le droit de se dire ces choses-là ?
Merci d’exister dans toute ta magnitude, Safia Nolin. Tu es magnifique.