Actualité

L’ATMOSPHÈRE ÉDUCATIVE

Par Jeanne Manseau-Noel le 2021/11
Image
Actualité

L’ATMOSPHÈRE ÉDUCATIVE

Par Jeanne Manseau-Noel le 2021/11

Au Québec et ailleurs, des jeunes et des moins jeunes s’éduquent chaque jour sans être contraints à la scolarisation ni à aucune instruction. Pour ces êtres humains comme les autres, le concept d’apprentissage n’existe pas, car apprendre est quelque chose qui leur arrive, simplement, lorsqu’ils sont en état d’enthousiasme, libres de poursuivre ce vers quoi leurs champs d’intérêt authentiques les guident. D’abord initiateurs d’une atmosphère porteuse de sens, ces jeunes citoyens de la Terre créent le savoir et la connaissance comme les scientifiques le font, c’est-à-dire en observant, en se questionnant, en élaborant des théories, puis en testant et en révisant ces théories. « Les enfants sont plus passionnément intéressés par la réalité et par le sens que nous, et ils luttent pour les préserver, pour les trouver et pour les inventer, où et comme ils le peuvent », disait le pédagogue John Caldwell Holt1.

Au XXe siècle, Rabindranath Tagore créa une école alternative au Bengale avec l’ambition de protéger l’amour de la nature et l’infini potentiel propre à chaque enfant. Il disait que les enfants ont ce don inné d’apprendre lorsqu’ils sont entourés d’éléments naturels qui ont une valeur éducative intrinsèque2. Pour cette raison, le philosophe indien invitait artistes et artisans de la ville à venir séjourner dans son école, les laissant libres de travailler à leur guise, ce qui permettait aux enfants de les regarder faire. Une pratique qui, aux yeux de Tagore, contribuait à créer une ambiance dans laquelle les enfants s’imprégnaient de quelque chose d’intangible, mais porteur de vie3.

Au fil du temps, Tagore contemplait ébahi les enfants qui, nourris par l’atmosphère cultivée au sein de son école, conservaient soif d’apprendre et enthousiasme. À ce propos, il écrivit : « Les enfants se sont mis à rendre service à nos voisins, à les aider de différentes manières et à être constamment en contact avec la vie qui les entourait. Ils avaient également la liberté de grandir, ce qui est l’un des plus beaux cadeaux que l’on puisse faire à un enfant. Nous cherchions à atteindre une autre forme de liberté; une sympathie pour l’ensemble de l’humanité, libre de tout préjugé racial ou national4. » Tagore semblait aimer profondément la vie, aussi prenait-il le temps de décrire, de façon méticuleuse et poétique, les rythmes et les rituels auquel il rêvait pour son école : « Quand le temps le permettrait, les classes se tiendraient à l’ombre des grands arbres. L’enseignement consisterait en parité de discussions et explications entre maîtres et élèves marchant dans les grandes allées. À la récréation du soir, les élèves pourraient étudier les étoiles, faire de la musique ou écouter des légendes ou des contes historiques5. »

Ayant très tôt choisi d’autres chemins que celui de l’institution scolaire pour parfaire son éducation, Tagore affirmait que ses malheureux souvenirs d’écolier étaient à la source de son projet d’école alternative. Suivant la plume du philosophe, les écoles arrachent de force les enfants à un monde rempli de mystères, et lié à leur nature propre. « C’est que pour l’école la vie parfaite est celle que l’on peut traiter comme une chose morte et découper à sa convenance en portions symétriques. Et c’est bien là ce qui m’a tant fait souffrir lorsque je suis allé à l’école. Soudainement, le monde disparaissait autour de moi, laissant place à des bancs de bois et à des murs droits qui me fixaient du même regard vide qu’ont les aveugles. Le maître d’école n’y était pour rien et quand je suis venu au monde, on n’a pas non plus demandé son avis au ministère de l’Éducation. Mais cela justifiait-il qu’on s’en prenne à moi à ce point6? »

Voilà, entre autres, les motifs pour lesquels le poète se dit reconnaissant de ne pas avoir fréquenté l’établissement scolaire trop longtemps, car son parcours novateur lui aura permis de gagner une sensibilité d’esprit au contact de la vie et de la nature qui lui parleront tout au long de sa vie. Ainsi, bien qu’il soit le fondateur d’une école alternative, Tagore était continuellement critique : « les écoles restent des écoles, même si selon leurs propres normes certaines sont meilleures que d’autres7. » À ces mots résonnent ceux de l’écrivain, guitariste et luthier André Stern qui, enrichi d’une enfance heureuse et libre de toute scolarisation, explique clairement cette réalité : « Je n’ai éprouvé aucune difficulté à ‘‘m’insérer dans la société’’. Je n’ai même jamais connu du tout la nécessité de m’y ‘‘insérer’’, puisque je n’en ai jamais été soustrait. Ne sont-ce pas les étudiants, cultivés hors-sol, que l’on greffe à la société un beau matin8? » En effet, tel que le souligne judicieusement le chercheur en éducation Thierry Pardo, les mots « éducation » et « école » sont devenus, pour le meilleur ou pour le pire, quasiment synonymes9.

.1 John Caldwell Holt, Les apprentissages autonomes, Éditions l’Instant Présent, 2018, p. 59-61.

2. Rabindranath Tagore, Une école sans murs, Écosociété, 2021, p. 150.

3. Ibid., p. 151-152.

4. Ibid., p. 153.

5. Ibid., p. 69.

6. Ibid., p. 39.

7. Ibid., p. 38.

8. André Stern, … Et je ne suis jamais allé à l’école, Babel, 2011, p. 196.

9. Thierry Pardo, Une éducation sans école, Écosociété, 2017, p. 43.

Partager l'article