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Quelques souvenirs d’une vieille collègue et amie

Par Jean Roy le 2021/10
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Quelques souvenirs d’une vieille collègue et amie

Par Jean Roy le 2021/10

J’ai rencontré Suzanne pour la première fois en 1980 à mon arrivée en Sciences de l’éducation à l’UQAR. Elle y était déjà professeure depuis une dizaine d’années.

J’ai découvert une collègue tout à fait impliquée dans l’avenir de l’institution, totalement investie dans l’éducation préscolaire et soucieuse de construire un lien étroit entre la qualité de la formation offerte et celle que les étudiantes et les étudiants seraient ensuite en mesure de donner à leurs élèves du préscolaire et du primaire.

S’ajoutait aussi chez Suzanne une conviction qu’elle a souvent partagée avec ses collègues tout au long de sa carrière universitaire : nous devions être d’autant plus exigeants avec nos étudiants et nos étudiantes que la plupart trouvaient ensuite un emploi dans les régions bas-laurentienne et gaspésienne et qu’une bonne part du développement de ces régions prend appui sur la qualité de la scolarisation des jeunes et très jeunes qui y habitent.

Nous étions par ailleurs quelques collègues à croire avec Suzanne, qu’outre les compétences pédagogiques et didactiques requises chez les maîtres, un des aspects centraux de la qualité de leur formation réside dans leur maîtrise des contenus à enseigner.

Avec l’appui indéfectible de Suzanne et de ces quelques collègues, nous avons donc pris, vers le milieu des années quatre-vingt, certaines initiatives d’évaluation et de formations d’appoint qui furent d’abord source de débats houleux, mais qui firent ensuite école chez nous et ailleurs dans le réseau universitaire québécois.

À mon arrivée à Rimouski, j’ai aussi appris que Suzanne était l’une des pionnières de l’éducation préscolaire au Québec, et ce, dès les années cinquante. Ce n’est cependant qu’au fil des ans que j’ai découvert la profondeur de cet engagement pérenne chez elle et que j’ai compris tout ce dont des générations de Québécoises et de Québécois lui sont redevables.

J’ai souvent eu l’occasion d’observer avec mes enfants le profond respect que Suzanne avait des jeunes enfants, de constater l’intensité de son attention à leur endroit, la simplicité claire et sans mièvrerie avec laquelle elle leur parlait ainsi que l’absence d’infantilisation dans les questions et réponses qu’elle échangeait avec eux. Sa recette devait être la bonne car, quarante ans plus tard, ces « anciens enfants » que je connais de près conservent toujours d’elle un souvenir impérissable.

Lorsque Suzanne a quitté la scène politique fédérale, j’ai participé à quelques voyages avec elle et des proches. Un souvenir de voyage date de l’été 2008 où nous étions quelques-uns avec Suzanne à nous rendre à Saint-Élie-de-Caxton pour assister à un spectacle de notre Fred Pellerin national. Mais il fallait que le lendemain, 8 août, nous puissions nous retrouver à 8 h en un lieu où on pourrait voir le spectacle d’ouverture des Olympiques de Pékin que Suzanne tenait absolument à ne pas manquer, plus particulièrement, la prestation d’un des pianistes internationaux de l’heure, Lang Lang.

Quiconque n’a pas eu l’occasion de voyager au Québec avec Suzanne ne peut pas vraiment mesurer l’ampleur de sa popularité. Comme je l’ai observé ce matin-là et à plusieurs autres reprises, Suzanne était approchée par des gens qui tenaient à faire un détour pour la saluer et lui dire leur admiration. Même ceux qui l’abordaient en lui signalant d’abord qu’ils étaient fédéralistes, mais « qu’ils l’aimaient beaucoup ». Chaque fois que j’ai pu observer cette scène, j’ai été impressionné par le sourire et la gentillesse de Suzanne et par sa facilité à engager la conversation avec des personnes pourtant inconnues.

Entre proches, amis et amies, nous nous sommes souvent retrouvés autour de la table chez elle, ou à Rimouski, à Trois-Pistoles ou à Sainte-Flavie. Les proches connaissent son culte pour la soupe aux gourganes, façon charlevoisienne et rien d’autre, bouillon grisâtre. Tant pis pour l’esthétique du bol. En septembre 2020, quelques heures avant son dernier départ inattendu pour l’hôpital, nous avons décidé d’organiser une partie d’huîtres. Assise à sa place habituelle dans la salle à manger avec vue imprenable sur la mer, il fallait voir Suzanne se régaler… Ce repas fut, je crois, le dernier que Suzanne ait pris chez elle, une attention dont elle parlait encore une semaine après.

Puis il y eut un dernier café, dans sa chambre du centre hospitalier. Suzanne ayant dit vouloir prendre un « bon café », je lui en apportai un de la Brûlerie d’Ici. Elle le but avec un grand sourire de satisfaction. À peine quelques heures après, elle sombrait dans l’inconscience pour nous quitter trois jours plus tard.

Parmi les très nombreux souvenirs que je conserve de Suzanne, ce dernier sourire en est un que je garde précieusement.

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