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QUAND LA MAIN-D’ŒUVRE BON MARCHÉ VOUS RAPPORTE DE LA GLOIRE

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QUAND LA MAIN-D’ŒUVRE BON MARCHÉ VOUS RAPPORTE DE LA GLOIRE

Du 11 au 29 janvier dernier, COSMOSS BSL1, une structure de concertation bas-laurentienne financée par la fondation Chagnon, proposait aux étudiants et aux étudiantes qui occupent un emploi de glorifier leur patron ou leur patronne par l’entremise du concours Mon boss, c’est le meilleur! Nous, le groupe citoyen Syndic-à-l’Est, prenons la parole publiquement afin d’exprimer notre malaise. Une lettre ouverte a été envoyée à cet effet à COSMOSS.

Mon boss, c’est le meilleur! vise à remettre sept titres d’« employeur engagé pour la réussite éducative » dans le cadre des Journées de la persévérance scolaire. En remplissant un formulaire, les étudiants et les étudiantes courent la chance de remporter un chèque-cadeau de 100 $. Lire ici de l’argent de poche qui couvre à peine une semaine d’épicerie en échange d’une publicité gratuite pour l’employeur. La question se pose : dans quelle mesure faire l’éloge d’un patron ou d’une patronne – et donc de son entreprise – contribue à la persévérance scolaire? COSMOSS ne semble pas avoir comme mandat de créer du capital social pour les entreprises sur le dos des jeunes en situation précaire.

Plusieurs nous répondront que, justement, le travail contribue à sortir de la précarité et que cette sortie permet d’être plus attentif aux études. Mais qu’en est-il vraiment? De notre point de vue, il serait bien plus facile pour les jeunes de persévérer à l’école si elles ou ils n’étaient pas obligés de travailler en même temps. Des recherches montrent un plus haut taux d’échec scolaire chez les jeunes qui doivent concilier scolarité et travail2. Le fait de travailler alors qu’on étudie est rarement un choix délibéré. Les heures passées au travail ne sont pas consacrées à l’apprentissage, activité qui devrait être la priorité lorsqu’on étudie. En tentant de concilier études à temps plein et travail, les jeunes mettent en péril leur santé mentale et leur capacité à poursuivre leurs études. Il est donc primordial de se questionner pour savoir qui fournit ici le plus grand effort et qui doit donc être encensé.

En réponse à notre lettre ouverte, COSMOSS mentionne que le travail « permet aux jeunes d’acquérir de la maturité, de la confiance et une meilleure connaissance de leurs forces et aptitudes ». Le fait d’être aux études ne permet-il pas déjà d’acquérir ces aptitudes? Les heures travaillées en été ne sont-elles pas suffisantes? Ce qui nous dérange, c’est qu’on demande à des jeunes qui ont peu d’expérience sur le marché du travail – et donc peu de points de comparaison possibles – d’encenser des employeurs qui, essentiellement, respectent leur horaire d’études et leurs compétences. COSMOSS mentionne que « ce que les jeunes soulignent très souvent, selon des données de Écobes (2019), c’est que les employeurs sont appréciés pour leurs qualités humaines et relationnelles, pour l’intérêt qu’ils leur portent, leurs encouragements ». Cette marque de civilité élémentaire ne devrait-elle pas être défendue comme incontournable, plutôt que présentée comme un acte méritant une reconnaissance particulière? Prétendre qu’un « boss est le meilleur » parce qu’il offre un minimum de reconnaissance à son équipe semble démesuré.

Les propriétaires d’entreprises n’engagent pas d’étudiants ou d’étudiantes par charité, mais bien parce que cette main-d’œuvre est bon marché, peu qualifiée et rotative. Elle ne connaît que très peu ses droits et est généralement plus docile, se plie plus facilement aux exigences des employeurs. Ces éléments favorisent un plus grand contrôle et limitent par le fait même la possibilité pour les jeunes de s’organiser et d’exiger de meilleures conditions.

Et qu’en est-il de tous ces jeunes qui travaillent dans des milieux où leur boss profite de leur statut? Le concours « tend la main » aux étudiants et aux étudiantes qui travaillent dans de bonnes conditions, mais laisse à leur propre sort ceux et celles aux prises avec des employeurs abusifs.

Si COSMOSS souhaite s’engager pour la persévérance scolaire, ne serait-il pas plus pertinent que l’organisation se mobilise contre la précarité étudiante, celle qui est systémique et non pas individuelle? COSMOSS pourrait faire pression en faveur de la gratuité scolaire ou militer pour une plus grande accessibilité aux bourses ou encore pour la rémunération des stages.

1. Communauté ouverte et solidaire pour un monde outillé, scolarisé et en santé

2. Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, Santé et sécurité des étudiants qui occupent un emploi durant l’année scolaire, 2011, https://www.irsst.qc.ca/media/documents/PubIRSST/R-705.pdf?v=2020-06-01

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