
La firme Gaspé Énergies saisit la justice afin que le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) revienne sur sa décision de lui refuser une autorisation de forage dans le cadre du projet Galt, situé à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Gaspé.
Dans sa requête déposée à la Cour du Québec et dont Le Mouton Noir a obtenu une copie, la filiale de Ressources Utica inc. exige également le retrait de l’article 23 du Règlement sur les activités d’exploration, de production et de stockage d’hydrocarbures en milieu terrestre. Celui-ci stipule qu’il est interdit de réaliser un forage à moins de 1000 mètres d’un milieu hydrique.
Gaspé Énergies veut réaliser un forage pétrolier exploratoire au puits Galt 6, « visant à évaluer le potentiel de production en pétrole brut et en gaz associé des calcaires fracturés de la formation de Forillon ». Trois cours d’eau intermittents se situent à 800 mètres du site de forage. La compagnie dit avoir suivi toutes les étapes de demande d’autorisation, et avoir « déployé des efforts considérables afin de répondre aux diverses exigences et questions du MERN ».
Le 19 août 2020, la directrice du bureau des hydrocarbures du MERN Marie-Ève Bergeron a dit à Gaspé Énergies que l’autorisation de forage devrait être accordée quelques jours plus tard. Mais deux mois plus tard, le ministre Jonatan Julien rejetait la demande de la compagnie, arguant « qu’il demeure des risques quant à l’intégrité et la conservation du milieu hydrique ».
L’article 23 stipule que la distance minimale de 1000 mètres entre un forage et un milieu hydrique peut être réduite si une étude technico-environnementale indépendante démontre qu’il n’y a pas de risque de contamination. Gaspé Énergies dit avoir déposé une telle étude.
Pour la firme qui est majoritairement détenue par des investisseurs autrichiens, l’article 23 confère un pouvoir discrétionnaire au ministre, n’est pas suffisamment précis et débouche sur une interdiction qui « est de la nature d’une expropriation déguisée ». Il faudrait donc le déclarer invalide.
Une gifle pour les mouvements citoyens?
Si le tribunal donnait raison à la pétrolière, cela serait un véritable retour en arrière, pense le porte-parole du groupe écologiste Environnement Vert Plus, Pascal Bergeron. « Cet article était une concession au mouvements citoyens qui avaient demandé une protection des cours d’eau, rappelle-t-il. S’il disparait, tout est à recommencer… »
Dans sa demande à la Cour, Gaspé Énergies insiste sur l’importance du projet Galt pour l’économie régionale : les essais réalisés en 2015 et 2016 par Junex (racheté par Cuda Pétrole et Gaz, entité elle-même rachetée plus tard par Ressources Utica) « ont permis de réaliser la meilleure production de pétrole de l’histoire du Québec ». La quantité de pétrole récupérable s’élèverait à 15 millions de barils, selon la compagnie, représentant des recettes de plus d’un milliard de dollars.
Pascal Bergeron conteste ces données en se basant sur des évaluations indépendantes du gisement. La plus optimiste, réalisée par la firme NSAI en 2017, fait état de 168 000 barils pour les puits Galt 1 à 5, le puits Galt 4 étant de loin le plus productif. « Mettons que je mette toute cette production dans Galt 4 et qu’on fore 30 puits comme Galt 4 comme Junex voulait le faire, j’arrive à 5 millions de barils. Et c’est une hypothèse hautement improbable… »
Le militant juge toute aussi « farfelue » l’affirmation faite par Gaspé Énergies que le projet a obtenu l’acceptabilité sociale. Faisant partie des instigateurs du Camp de la Rivière qui était installé au bord du chemin menant au projet Galt, il a vu passer « plusieurs centaines de personnes qui nous avaient manifesté leur refus catégorique de ce projet ». Un BAPE permettrait de réellement mesurer l’acceptabilité sociale, mais il n’a pas encore été organisé.
Le porte-parole d’Environnement Vert Plus met en garde : « On est prêts, on est en train de réactiver les comités qui étaient mobilisés dans cette lutte pour ramener la bataille sur un terrain politique. Si le juge rend une décision qui casse l’article 23, on va demander au ministre d’adopter une loi contre la fracturation qui protège vraiment les cours d’eau, et des règlements beaucoup plus serrés pour les entreprises. »
Gaspé Énergies prétend pourtant que son projet ne requerra pas de fracturation hydraulique. « On ne les croit pas, coupe Pascal Bergeron. Jusqu’en 2013, Junex faisait des déclarations à l’effet que Galt avait besoin de fracturation pour être rentable. » Les propriétaires du projet Galt ont beau changer régulièrement de nom, l’opposition reste constante…