
Le 22 octobre 2020, le ministre Lamontagne (MAPAQ) faisait l’annonce de son Plan d’agriculture durable (PAD) (2020-2030) lors d’une conférence de presse, aux côtés d’Équiterre, de l’UPA et d’autres intervenants. Appuyé par ces derniers, le Plan propose un budget de 125 millions de dollars pour répondre à cinq objectifs relatifs à la gestion (1) des pesticides, (2) des sols, (3) des matières fertilisantes, (4) de l’eau et (5) de la biodiversité. En somme, il suggère une révision de quelques pratiques culturales, ouvrant par exemple la voie à la diminution de l’usage d’intrants chimiques à la production et à l’augmentation des couvertures végétales et de la composition en matière organique des sols. Il suggère aussi quelques mesures pour limiter les conflits d’intérêt chez les agronomes qui travaillent pour des entreprises privées, faisant écho à la Commission sur les pesticides tenue en 2019.
Jusqu’à présent, en effectuant un bref survol des articles médiatiques produits sur le sujet, il semble que le PAD soit accueilli assez positivement par plusieurs organisations de la société civile. Cette réaction spontanée m’apparaît néanmoins imprudente. De fait, le PAD omet de proposer une compréhension exhaustive et holistique du concept de durabilité en agriculture, malgré son titre trompeur qui emploie le mot « durable ». Il suggère plutôt une vision unidimensionnelle de l’agriculture, comme si les enjeux environnementaux occasionnés par ce secteur n’avaient leurs sources que dans la façon de produire. Certes, les pratiques agricoles néfastes font partie du problème et il faut certainement les adresser de front. Toutefois, s’en tenir à une vision aussi réductrice de la durabilité est risqué, voire téméraire, puisqu’elle se refuse finalement à chercher des alternatives réellement garantes d’un avenir meilleur.
Sur la durabilité
Les monocultures, l’usage de pesticides, la dégradation des sols et la contamination des cours d’eau sont une conséquence directe de la configuration de notre système agro-alimentaire et de l’organisation de sa chaîne d’approvisionnement. Lorsqu’un producteur adopte une pratique particulière, c’est parce qu’il souhaite répondre aux impératifs marchands. Par exemple, les grossistes alimentaires, qu’on compte en nombre limité à l’échelle québécoise, n’achèteront qu’à condition de pouvoir remplir des semi-remorques, ce qui induit chez l’agriculteur cette nécessité de produire des volumes immenses et donc de convertir ses champs en monocultures et ainsi parfois devoir faire usage d’intrants chimiques pour compenser la perte de résilience de ses agro-systèmes. Il est important de comprendre que les réalités du marché, induites par certains acteurs puissants, sont la source des pratiques agricoles destructrices… et non pas l’inverse! Dans cette mesure, le PAD laisse sous-entendre que la responsabilité des heurts environnementaux est celle des agriculteurs, comme si l’adoption de pratiques particulières était un choix personnel (!) et qu’il leur revenait à eux de régler le problème par un adoucissement de leurs pratiques.
De fait, l’agriculture n’est pas une chose extraite de la société et qui gravite dans sa marge pour « générer de l’emploi ». Non, c’est un objet social, avec ses acteurs et actrices, du champ jusqu’à la table; c’est un système complexe et multidimensionnel, qui ne peut être compris que si on lui accole son caractère nourricier, en l’insérant dans son contexte socio-économique contemporain. Il est effectivement difficile de parler d’agriculture sans parler d’alimentation, puisque les deux sont, à toutes fins pratiques, intrinsèquement liées. Pour réfléchir à la durabilité de l’agriculture, il faut regarder le système agro-alimentaire (cette liaison entre production et consommation), donc constater comment un aliment est produit ET comment il parvient à être consommé. Et ces « comment » nous dévoilent finalement la manière dont ce système est configuré – et de percevoir les intérêts économiques et politiques qui sont derrière lui. Si, actuellement, 65 % de notre alimentation est importée, que plusieurs de nos productions sont destinées aux exportations (soja et porc), c’est parce que des choix politiques, corroborés par une pression économique, ont construit ce système agro-alimentaire. Un système construit, donc, et qui par définition en fait un pouvant être déconstruit.
Or, est-ce que le système agro-alimentaire, tel que porté par les principes industriels, est durable? De toute évidence, certaines pratiques induites par l’industrialisation de l’agriculture ne le sont pas, comme l’usage des pesticides, qui réduisent éventuellement la qualité des sols et des cours d’eau. Le PAD comprend cet élément et suggère quelques pansements pour compenser ces failles (« bravo », diront la plupart des organisations). Toutefois, cet élément, si minime, si précis, ne capture pas du tout l’essence de la réflexion sur la durabilité.
La Plan d’agriculture n’est pas « durable »
En fait, plusieurs éléments sont simplement absents du PAD. Et ces lacunes peuvent ainsi être décomposées : (1) il suggère certains pansements aux pratiques de l’agriculture industrielle, assoyant sa présence, sans pour autant s’intéresser à la révision du modèle en soi. Les monocultures peuvent se poursuivre, par exemple, et les champs vont demeurer tout aussi dépendant des énergies fossiles. De plus, le PAD ne cible pas de pesticides en particulier, suggérant leur diminution en termes de quantité, et non pas en termes d’impacts. Or, le PAD ne parle pas d’agroécologie paysanne, d’agriculture à échelle humaine, etc. Il ne s’intéresse pas à la diversité des modèles de pratiques agricoles : un plan sans plan! Ou plutôt, un plan qui nous annonce la perpétuité des pratiques industrielles… Mais n’était-ce pas déjà ce que planifiaient nos dirigeants?
Aurait-il été possible, alors, de reconnaître que l’agriculture industrielle est dominante au Québec? De réfléchir à des alternatives de production? De proposer l’exercice collectif pour redéfinir le modèle? En tant que paysan-maraîcher, je peux certifier qu’il existe déjà des agro-systèmes qui ne nécessitent aucun intrant chimique à la production, qui favorisent l’émergence de la biodiversité, qui prennent soins des sols, etc. En vérité, c’est la moindre des choses que ce système industriel – déjà destructeur aux niveaux social, économique et culturel – fasse minimalement sa part pour l’environnement. Autrement dit, le PAD ne désire pas améliorer la situation agricole, mais vise plutôt à rendre moins pires les conséquences de l’agriculture industrielle.
(2) Qu’est-ce qu’il y a de durable dans le fait d’avoir une agro-alimentation principalement axée vers la distribution sur les marchés internationaux et, conséquemment, dépendante des importations? Qu’est-ce qu’il y a de durable à exporter près de 80 % de nos productions de soja vers les marchés étatsuniens et asiatiques pour nourrir du bétail exporté ensuite? Qu’est-ce qu’il y a de durable à exporter des tomates et à en importer une quantité équivalente des États-Unis, chaque année? Le PAD n’aborde aucunement ces enjeux de durabilité! De fait, il n’est pas du tout question de la circulation des marchandises agricoles : rien n’est dit sur l’exportation et l’importation (sur le système, quoi!). Et rien non plus n’est mentionné sur l’agriculture de proximité, la consommation locale, sur l’exploitation des travailleurs migrants, ni même sur notre dépendance envers eux! Rien non plus sur le fait que les fermes s’achètent entre elles, accélérant ainsi le phénomène de concentration de la richesse et de la diminution du nombre de ferme (pointez-moi la durabilité!). Aucune révision du financement de l’agriculture n’est non plus proposée.
Le PAD adopte plutôt la position du statu quo, comme si le capitalisme prédateur et la globalisation économique faisaient office de loi naturelle, à l’instar de la gravité, et qu’on n’avait donc pas à parler de ce système agro-alimentaire (prétendument immuable et éternel). En outre, on ne questionne pas le modèle dominant. Mais en suivant le « plan », nous tâcherons, néanmoins, de réduire un peu l’épandage de glyphosate sur du maïs transgénique qui nourrira le porc exporté…
En bref
En bref, le PAD, c’est un outil politique et électoral permettant à la classe dirigeante de satisfaire certaines préoccupations véhiculées par l’opinion publique. Il comprend que les pratiques de l’agriculture industrielle puissent être néfastes d’un point de vue environnemental (strictement, peut-on ajouter), mais ne comprend pas que l’agriculture industrielle elle-même est un modèle parmi tant d’autres et qu’il peut être substitué par une façon véritablement durable de produire et d’accéder à la nourriture. Il m’apparaît donc que le PAD ne réponde pas à son propre titre, puisqu’il ne réfléchit que sommairement et timidement à la complexe réalité agro-alimentaire.
En vérité, ce que ce plan a de « durable », c’est le fait qu’il annonce qu’on va pouvoir polluer moins pour polluer plus longtemps, en reportant à jamais les enjeux sociaux qui s’y relient.