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À Saint-Fabien, une caméra qui dérange

Par Rémy Bourdillon le 2020/05
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À Saint-Fabien, une caméra qui dérange

Par Rémy Bourdillon le 2020/05

Par une journée d’avril, Jean-Yves Guillou a eu une surprise en descendant ses poubelles : à l’entrée de son habitation à loyer modique (HLM) de Saint-Fabien, un nouveau système d’accès avait été installé. Pour entrer dans l’immeuble, il doit désormais appuyer sur un bouton pour appeler une personne basée à Rimouski et s’identifier devant une caméra, suite à quoi on lui ouvre la porte à distance.

« C’est un système qui commande tous les HLM de la région, explique l’homme de 65 ans. Si ça sonne à plusieurs endroits en même temps, la personne ne peut pas répondre à tout le monde. La dernière fois, je suis tombé sur un répondeur qui me disait que j’étais le premier sur la liste d’attente… »

Mal à l’aise, M. Guillou a voulu en savoir plus. « J’ai téléphoné au bureau du député [de Rimouski] Harold LeBel. Ils se sont renseignés et m’ont dit que ça avait été décidé par les HLM, pour nous protéger contre le coronavirus. Je veux bien que les HLM de personnes âgées soient un milieu à risque, je suis content qu’on s’occupe de nous, mais je trouve que ça commence à ressembler au système d’une prison! Est-ce qu’ils notent à quelle heure j’ai sorti mes vidanges? »

Une idée « originale » 

Le directeur général de l’Office d’habitation Rimouski-Neigette (OHRN), Alain Boulianne, assume le recours à cette technologie, et dit qu’il ne fait que suivre des directives venant d’en haut : « Les représentants de la Fédération des locataires de HLM du Québec (FLHLMQ) ont fait des pressions auprès de la Société d’habitation du Québec afin que des mesures de contrôle soient mises en place dans les bâtiments de personnes âgées. Les moyens à utiliser ont été laissés à la discrétion des gestionnaires locaux et régionaux », dont l’OHRN fait partie.

L’OHRN a commencé par embaucher des gardiens de sécurité afin de limiter les visites non essentielles. Cependant, un problème est rapidement apparu, d’après M. Boulianne : « On n’a pas d’employés pour faire cela, alors on a dû aller vers de la sous-traitance, ce qui représente un coût faramineux : plus de 100 000$ d’honoraires par mois! » En revanche, avec le « portier électronique vidéo », une seule personne peut contrôler les accès de 19 bâtiments disséminés dans toute la MRC. « Des questions de base sont posées aux résidents, poursuit le directeur de l’OHRN. Ça dérange une minorité, mais je peux les compter sur les doigts de mes mains. Ça rassure beaucoup plus de gens, qui vivent actuellement des situations d’anxiété. » L’objectif de cette démarche est aussi de pouvoir assister la sécurité publique dans ses investigations en cas de contamination dans un bâtiment.

À Montréal, le coordonnateur de la FLHLMQ, Robert Pilon ne cache pas sa surprise lorsque Le Mouton Noir lui parle de la caméra de St-Fabien. « C’est la première fois que j’entends parler d’une telle procédure », affirme-t-il, avant de mettre en garde : « Il faut que les gens puissent librement entrer et sortir de leur logement. S’il y a une procédure qui devient longue et compliquée, on se tire dans le pied et on nuit aux locataires. Ceci dit, si c’est efficace, on va dire que c’est un moyen original de protéger les gens… »

Et après la pandémie?

De son côté, Jean-Yves Guillou met en doute l’efficacité de ce système. Récemment, il a eu la surprise de recevoir sa livraison d’épicerie à la porte de son logement : « C’est bien gentil de la part de mon livreur, mais c’est bien écrit sur la porte d’entrée que c’est interdit! » Il a appelé des amis qui vivent en HLM à Montréal : tous ont un gardien dans leur immeuble, solution à laquelle il ne s’opposerait pas. « Ce dont j’ai peur, c’est que la vidéosurveillance reste en place après la pandémie. »

Là-dessus, les avis divergent : Alain Boulianne, de l’OHRN, pense que le poste de la personne qui ouvre la porte à distance sera coupé, mais que la caméra pourrait rester. « La jurisprudence dit que dans des aires communes, comme un sas d’entrée, on peut opérer une surveillance vidéo si on l’affiche clairement. À Saint-Fabien, où il n’y a que 16 logements, on pourrait décider que ce n’est pas nécessaire et désactiver cette fonction. C’est du cas par cas. »

À la FLHLMQ, Robert Pilon le contredit : « La Commission d’accès à l’information a établi des règles très claires : on ne peut pas mettre des caméras dans les HLM sur une base permanente, parce que c’est une atteinte à la vie privée des gens. On peut le faire seulement en dernier recours, pour régler des problèmes précis. Mais un problème précis, ça a un début et une fin. » Un débat de plus pour l’après-pandémie, donc.

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