
Retranchés dans vos terres, ou dans vos appartements urbains avec balcon. J’espère que vous réussissez à vous faire un quotidien « solitaire », et remplis de ce soleil qui annonce un été différent, mais probablement tout aussi frugal en produit locaux en provenance de votre région ou même de vos jardins ou pots de balcons, là où vous êtes confinés.
Mais l’autre Culture « devenu un divertissement en ligne » ne réussira probablement pas à être aussi féconde, car les auteurs, les artistes, les musiciens et même les œuvres, ont besoin d’une proximité physique essentielle avec le public.
Notre monde a basculé de manière abrupte. Ce temps qui passe se rattrapera plus loin, mais on sera tous un peu plus vieux de quelques mois. Une ou deux interrogations me troublent dans cet intervalle.
Entre amis, risque-t-on de s’oublier parce qu’on ne se voit plus, ou seulement par la voix, l’écran, les messageries ou les réseaux sociaux ? Autre interrogation, face à ce virus, quand les autres nous trouvent à risque parce qu’on est plus vieux que les jeunes, vieillissons-nous plus rapidement ? Parce que c’est toujours un peu plus difficile psychologiquement la solitude imposée, car tellement différente de celle décidé par soi-même.
Durant ce temps, une seule consolation, la terre aura pris, une pause salvatrice de tous nos déplacements avec nos énormes machines polluantes. J’ai annulé un voyage dans le sud de la France au milieu avril. À deux, ça n’avait pas le profil du tourisme de masse, mais quand c’est un principe exponentiel – et on commence à voir ce que ça implique l’exponentiel – ça devient vite du tourisme de masse, un coup assez fort sur la biodiversité. C’est ce qui m’a fait réfléchir « au saccage touristique » comme le décrit le sociologue Rodolphe Christin dans son Manuel de l’anti-tourisme (Écosociété, 2018). Peut-on encore voyager ? Je pense que oui, seul, à deux ou en petit groupe, mais ne devrait-on pas commencer à rompre avec cette industrie qui consomme le tourisme de masse ? Cette « conscience de l’autre réduite à une relation marchande. »
En étant si nombreux sur la terre, on devrait se rendre compte que les déplacements, surtout en gros groupes, impliquent des habitudes de consommation et des « moyens de transports qui détruisent le territoire, le notre et celui des autres. Le tourisme de masse est une violence pour la biodiversité qu’il nous faudra bien bannir. Dans cette direction, notre humanité gagnerait davantage sur le long terme que ces dollars de plus dans les poches de quelques individus sur le court terme.
Arriverons-nous à se convaincre et à convaincre les dirigeants de ce monde que notre santé à tous passe par la prévention et le respect de la biodiversité ? Et comprendre aussi, que sur le long terme, il n’y a jamais d’économie perdu dans ce respect de l’environnement.
La science nous le dit depuis longtemps, il semble que nous avons beaucoup de difficulté à l’entendre. Attendrons-nous que notre non-prévention soulève de graves questions sur la déficience dans la gestion et la préparation des gouvernements faces à d’autres catastrophes ?
Et pour la suite de notre histoire … Si je me fie aux conclusions de l’article « Will covid-19 Remake the World ? » du professeur Dani Rodrik* de l’International Political Economy at Harvard University’s John f. Kennedy School Government, paru le 6 avril 2020 dans la section « The World’s Opinion page » de la publication américaine « Project Syndicate ». Dans le contexte international, malgré les déficits anticipés et les responsabilités et ratés de cette urgence sanitaire :
« le COVID-19 pourrait bien ne rien changer – et encore moins inverser – les tendances qui étaient évidentes avant la crise. Le néolibéralisme poursuivra sa mort lente. Les autocrates populistes deviendront encore plus autoritaires. L’hyper-mondialisation restera sur la défensive face aux revendications et marges de manœuvres politiques des États-nations. La Chine et les États-Unis maintiendront leur trajectoire de collision. Enfin, la bataille s’intensifiera au sein des États-nations entre les oligarques, les populistes autoritaristes et les internationalistes libéraux, pendant que la gauche peinera à élaborer un programme suffisamment séduisant pour une majorité d’électeurs. »
Entre-temps soyons patient….
*Dani Rodrik est l’auteur de Straight Talk on Trade: Ideas for a Sane World Economy.