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Pour une jurisprudence de la Terre

Par Jeanne Manseau-Noel le 2020/01
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Pour une jurisprudence de la Terre

Par Jeanne Manseau-Noel le 2020/01

Devant l’ampleur alarmante de l’anthropocène et la prolifération des écocides, un champ juridique nouveau se développe subtilement partout autour du monde, reconnaissant à l’écosystème planétaire ses droits intrinsèques. Ce mouvement universel bouscule vigoureusement les balises de l’arrogance actuelle grâce à l’élaboration d’un droit de la Terre qui propose la mise en place d’un cadre de gouvernance symbiotique où le rôle légitime de l’Homo sapiens est reconsidéré. Ainsi, les droits de la nature abordent l’être humain comme une composante essentielle du vivant qui doit, à son tour, contribuer positivement aux processus vitaux constamment renouvelés de la grande communauté interdépendante de la vie.

Pourtant, aussi complexe et indispensable que soit cette reconnaissance juridique, il ne faut pas oublier que la Terre est originellement sujet de droits, c’est-à-dire bien avant que les humains le reconnaissent. Les droits inhérents de la nature jaillissent du même geyser que l’existence même, ils sont donc inaliénables et profondément authentiques. Pour cette raison, chaque être vivant qui vient au monde et qui grandit dans le respect de ses dispositions spontanées sait naturellement, et d’une manière à la fois innée et infiniment simple, apporter une contribution juste à la vie entière afin qu’un équilibre vital s’établisse. Lorsqu’une telle conscience du réel surgit de conditions si naturelles et banales, nul besoin d’être persuadé par des fondements conceptuels ou idéologiques quelconques. Une sagesse universelle que les Peuples Premiers possédaient déjà il y a fort longtemps.

Hélas, les sociétés humaines ont amorcé des dérèglements environnementaux qui, au fil du temps, sont devenus extrêmes. Présentement, la crise climatique plonge à une vitesse fulgurante l’incroyable biodiversité de la planète bleue dans la sixième extinction massive. En vue de renverser la situation, les autorités adoptent une pensée juridique environnementale moderne qui a pour but de protéger les écosystèmes à des fins strictement humaines, notamment grâce aux avancées technologiques et par la reconnaissance du droit de l’Homme à un environnement sain. Par conséquent, la croissance verte issue de ce paradigme anthropocentré n’est qu’une illusion qui procure espoir et bonne conscience à ses usagers, semant ainsi une confusion générale et complexifiant vivement le défi écologique planétaire.

Marchandiser la nature

Tout compte fait, le droit de l’environnement mène inévitablement à un processus de marchandisation de la nature dont la finalité est de maintenir un système économique mortifère. Dans le recueil d’entretiens Pour une désobéissance créatrice, Vandana Shiva, emblème mondial de la révolution écologique, rappelle judicieusement : « Même lorsque nous attribuons un prix à la destruction de la nature, les écosystèmes sont encore vus sous l’angle du marché. Monétiser les services écologiques revient à les considérer comme commercialisables. »

C’est ce phénomène particulier que le juriste et professionnel de l’environnement Nicolas Blain nomme l’anthropocentrisme multiséculaire. Dans l’article « Pour une gouvernance de la Terre », l’auteur souligne que les initiatives gouvernementales en faveur de la nature sont trop souvent dépourvues d’éthique environnementale. « Elles sont mues par ce désir de préserver une nature, propriété de l’Homme, par l’Homme et pour l’Homme1. » Or, comme le laisse entendre Nicolas Blain, les lois de l’homosphère créées par une humanité avide sont incompatibles avec les grands mécanismes du fonctionnement de la biosphère et de la vie.

Élaborée en 2001 par le théoricien Thomas Berry, la jurisprudence de la Terre est une source primaire des droits de la nature. Cette philosophie juridique, inspirée de la vision des peuples autochtones, offre une protection juridique robuste aux écosystèmes et permet à chaque entité du vivant de jouer son rôle au profit du bien-être de la communauté entière. Contrairement à la pensée juridique environnementale moderne qui protège la nature exclusivement au bénéfice des générations humaines, la jurisprudence de la Terre entend organiser l’avenir dans l’intérêt de tous les vivants. Un concept que Thomas Berry résumait par cette simple phrase : « L’univers est une communion de sujets et non une collection d’objets. » Afin de promouvoir et de défendre la Déclaration universelle des droits de la nature à l’échelle planétaire, l’avocat Cormac Cullinan fonda, en 2010, la Global Alliance For The Rights of Nature.

L’Équateur, la Nouvelle-Zélande et la Bolivie appliquent déjà, au quotidien, un projet de nouvelle gouvernance de la Terre. Grâce aux efforts des communautés locales, ces contrées lointaines ont un jour modifié leur constitution, leurs lois ou encore, ont reconnu le titre de personnalité juridique aux arbres, aux rivières et aux montagnes dans le souci de vivre en symbiose avec l’ensemble de la communauté de la Terre. À Rimouski, les droits de la nature sont un outil juridique puissant pour reconnaître aux écosystèmes (les sapinières à bouleau jaune et à bouleau blanc, les marais salés et le fleuve Saint-Laurent, par exemple) au moins trois droits fondamentaux : le droit à l’existence, le droit à l’habitat et le droit à la pleine santé afin de remplir entièrement leurs rôles dans les processus vitaux de la Terre.

1. « Pour une gouvernance de la Terre », La Croix, avril 2018. Pour en savoir plus, consultez le site de Nicolas Blain : droitsdelanature.com.

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