La vraie prise d’otages, c’est celle du capital, celle qui dit « ce sera l’emploi avec les bidons de produits toxiques, ou rien du tout » — et qui, pour finir, empile les bidons mais détruit les emplois !
– Frédéric Lordon, économiste hétérodoxe
Cet été, dans la ville de Québec, j’ai croisé l’idéologue de droite et sorcier de la pensée magique Mario Dumont et je l’ai traité de terroriste. Y’était en tabarnak et sa femme a dû le tirer par le bras en lui disant de sa voix de tarte aux pommes « T’es pas un terroriste Mario, écoute-le pas ». Je me bidonnais de voir le beau Mario de TVA vouloir se battre. Mais à bien y penser, quand j’écoute Mario parler d’environnement et d’économie, je me dis que j’aurais dû faire comme un singe : me chier dans main pis lui lancer au visage en criant : « Vous êtes baptisé, cher cloaque! »
Certains diront que je ne suis qu’un vulgaire barbare. Et moi qui me pensais nuancé en envoyant simplement chier Mario-le-climato-caquiste. Ça explique pourquoi y’avait personne à mon party de fête et que ma meilleure amie est une mangue coiffée d’un chapeau melon.
N’empêche que pour Mario, trois militants et militantes qui bloquent un pont quelques heures pour lancer un message aux politiciens « Vous faites rien pour la justice climatique! » sont des terroristes! Je nomme Mario, mais des dizaines de gros jambons à l’ananas dans les médias de masse ont couiné leur indignation envers les militants. Redirigez donc votre révolte contre les libéraux et les conservateurs qui bloquent depuis plus de 150 ans l’autodétermination et l’émancipation des citoyens et des citoyennes hors du capitalisme et du fédéralisme. Les idéologues de droite nous font la guerre; guerre aux idéologues!
Justement, un gentil économiste, toujours fraîchement rasé, bien habillé avec les roubignoles qui sentent la myrtille, Thomas Piketty a sorti un livre cet automne : Capital et idéologie. En gros, il y parle de l’échec de la révolution conservatrice des années 1980 et de son hypercapitalisme; il dit que l’on doit se débarrasser des carcans idéologiques qui nous empêchent d’envisager d’autres voies qui ne seraient pourtant pas si originales; que les solutions de la droite populiste nous mènent vers les « dérives identitaires et xénophobes actuelles »; que l’on a justifié le fort accroissement des inégalités en sacralisant la propriété privée, en portant aux nues les stars multimilliardaires du Web, en culpabilisant la masse des perdants du système et en mettant en garde contre les dangers de toute remise en cause (j’espère que Radio-Canada, La Presse et Québecor lisent ça). En entrevue au Devoir, Piketty disait : « Un message central de mon livre est que la lutte des idées et des idéologies est encore plus importante que les luttes sociales et politiques. C’est facile de dire qu’on veut se débarrasser des règles actuelles, mais c’est encore mieux de dire par quoi on veut les remplacer. Il faut prendre les idéologies au sérieux. »
Les militants et les militantes écologistes clament, avec raison : « Écoutons la science! » Ben c’est ça là. Des conservateurs au Parti vert en passant par la CAQ, y’écoutent toutes la science, qu’y nous disent. Non seulement ça, mais ils posent tous des gestes pour l’environnement… selon leur idéologie. Bourse du carbone, taxe carbone, technologie verte, voiture électrique, acheter un pipeline et exploiter les sables bitumineux, Fonds vert, etc., ce sont tous des gestes pour l’environnement selon l’idéologie de droite. Mais ça ne fonctionne pas, partiellement ou trop peu. Ben c’est ça là. Après avoir revendiqué l’aspect factuel de « écoutons la science », passons maintenant au sujet tabou de « changeons d’idéologie »! Ça veut dire quoi? Le capitalisme détruit l’humain et la nature, et nous cherchons dans le capitalisme des solutions aux problèmes environnementaux.
Le Devoir rapportait, dans un autre article, que « d’ici 30 ans, cinq milliards d’humains, particulièrement en Afrique et en Asie du Sud, pourraient être touchés par une pénurie d’eau potable et de nourriture ». Co-auteure de l’étude, Elena Bennett de l’Université McGill souligne que « pour résoudre les problèmes que vivent ces populations, on ne peut pas simplement leur dire de faire une meilleure gestion [de leurs ressources], nous devons aussi considérer le rôle que nous, habitants de l’Amérique du Nord, jouons dans leurs problèmes en achetant divers produits d’Asie du Sud, que ce soit des denrées alimentaires ou des vacances dans leurs stations touristiques, ou même en y exploitant des industries (notamment minières). Nous générons ainsi de la pollution là-bas plutôt qu’ici ».
Voici une proposition écologique : abattons moins d’arbres, mais plus de riches.