
J’ai, par instinct, cessé de regarder la procédure (plutôt simple et que j’avais vue à répétition) pour porter mon regard vers elle. Elle était là, les jambes écartées comme un spectacle, seule, sans personne à ses côtés. Mon cœur a bondi et j’ai offert, dans sa solitude, une de mes mains qu’elle a aussitôt serrée. Je me suis penchée au-dessus d’elle en respectant l’espace de son intimité. Je lui ai offert des yeux dans lesquels se plonger. Elle a soutenu mon regard pendant que ses larmes coulaient sur les côtés. Il n’avait fallu qu’un rendez-vous au préalable pour que je tombe en amour avec cette jeune fille, si belle, si drôle, et au fond si solide. Je venais de voir une naissance même s’il n’y avait pas eu d’accouchement, car c’est une jeune fille que j’avais vue entrer, mais c’est une femme qui était ressortie de la salle d’intervention. Je venais de faire mon premier accompagnement à l’avortement.
Ce n’est que quelques années plus tard, après être devenue sage-femme et avoir fait quelques détours, que j’ai compris que je n’aurais pas assez d’une vie pour œuvrer à l’humanisation des soins d’avortement. Valait mieux commencer tout de suite!
C’est autour d’un café avec une grande amie que j’ai réalisé que pour faire connaître la pratique de « doulas » à l’avortement, nous étions trop peu! Ainsi est née l’idée de bâtir une formation concrète et sérieuse de doulas à l’avortement.
Mais qu’est-ce qu’une doula à l’avortement? Je pensais la réponse bien simple jusqu’à ce que j’en rencontre d’autres! En fait, j’ai eu la chance de rencontrer en avril des doulas de New York, de Toronto et du Montréal anglophone. Pour plusieurs, l’activité d’une doula se passe presque exclusivement au moment de l’intervention d’interruption de grossesse. Par exemple, à New York, où le « Doula Project » a lieu depuis 2007, l’accompagnement par une doula est une option offerte sur place, sans rencontre préalable. Il s’agit déjà d’offrir des services qui n’existent à peu près pas ailleurs et c’est une grande avancée en soi. Mon observation des doulas de New York, que j’admire depuis un moment, m’a fait comprendre la vision que j’ai de ce service qui se rapproche, selon moi, du travail d’accompagnement à la naissance.
En ce sens, pourquoi ne pas offrir un service de doulas un peu plus à l’image de ce que l’on retrouve dans le domaine des accompagnantes à la naissance? C’est-à-dire un service privé (en absence de financement public), mais avec la possibilité de créer un fonds « pro bono » pour offrir des services à tous et à toutes, peu importe leur situation monétaire, services qui comprennent non seulement une présence au jour J (que ce soit pour un accouchement ou un avortement), mais aussi une large préparation préalable. Les accompagnantes à la naissance offrent généralement un service de cours prénataux individuels et leurs services incluent minimalement une rencontre préalable. Il semble essentiel d’accompagner les individus en amont en les aidant à faire des choix adéquats pour eux. Tout comme une femme peut préparer un plan de « naissance », celle qui s’apprête à vivre un avortement devrait pouvoir préparer son « plan d’intervention ou d’interruption ».
Je n’ai pas encore toutes les clés, mais je sens que les soins d’avortement évolueront. Comment se fait-il qu’une grossesse sur quatre (excluant les fausses couches) se termine par une interruption provoquée et que nous en parlions si peu? Oui, la question du choix en matière d’interruption de grossesse est primordiale. Mais la façon (quand-quoi-comment) est aussi essentielle. Je me sens fébrile et fière qu’au Québec, par des formations de doulas à l’avortement, nous amorcions un processus de réflexion et d’actions visant l’amélioration des soins.