
D’où est sortie cette idée folle d’implanter un Club Med à Petite-Rivière-Saint-François et pourquoi ce projet a-t-il été relancé après son abandon en 2015? Personne n’a encore clairement expliqué comment on en est venu à permettre à un géant chinois de s’établir sur des terres publiques, de surcroît dans une Réserve mondiale de la biosphère. Tout porte à croire que nos décideurs s’agenouillent devant l’arrogance de l’argent en contournant règlements et ruisseaux et en faisant fi du risque financier qui pèse sur les gouvernements. Ils ne prennent pas plus en considération la pénurie de main-d’œuvre, l’impact sur la population locale et les conséquences environnementales.
Cul-de-sac
La construction du bâtiment de services du futur Club Med, situé au bout d’un accès routier unique en très forte pente, a été autorisée. Les travaux sont commencés, avant même que l’étude sur la sécurité routière exigée par la municipalité de Petite-Rivière ne soit terminée. Les éventuels aménagements nécessaires et les coûts relatifs à la mise en application des recommandations finales du ministère des Transports demeurent inconnus. Une pétition1 qui demande la suspension des travaux dans ce dangereux cul-de-sac a été paraphée à ce jour par plus de 1 200 personnes. D’aucuns ont décrié le faible pourcentage de signataires charlevoisiens et se sont servis de ce motif pour parler d’acceptation. C’est toutefois sans prendre en compte la difficulté de s’opposer à un projet de cette envergure dans une région à faible densité démographique où l’apport économique prime sur tout autre égard, sans parler du fait que c’est l’argent de tous les contribuables qui est en jeu.
Impacts sociaux
L’argument de la création d’emplois, largement diffusé, s’avère une étrange chimère. Alors que tout le Québec (en particulier les domaines de l’hôtellerie et de la restauration) souffre d’un manque de main-d’œuvre, Club Med mise sur sa notoriété pour attirer les travailleurs. « On a certains moyens que n’ont pas les hôtels de la région pour trouver des employés », affirme candidement le p.-d. g. de Club Med Amérique du Nord. C’est donc dire que la pénurie de ressources humaines s’accentuera pour les autres représentants de l’industrie touristique de Charlevoix. Et encore faudra-t-il loger les travailleurs, qui seront pour la plupart à faible salaire, mais aucun projet d’hébergement abordable n’est encore sur les rails.
L’embourgeoisement rural et les écarts de richesses constituent des préoccupations importantes qui vont s’accentuer avec l’arrivée de Club Med et d’autres projets concomitants. Depuis déjà un peu plus d’une dizaine d’années, on constate une forte spéculation foncière, des taxes à la hausse, un clivage entre la population locale et les propriétaires de chalets de villégiature ou les touristes, la dépossession du territoire et l’apparition de développements immobiliers démesurés sur un territoire d’exception qui perd rapidement de son authenticité, ce que recherchent justement les clients, selon le chef de projet Club Med Québec Charlevoix.
Nature vulnérable
Selon Nature Climate Change, le « tourisme serait responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre de la planète ». Alors que la plupart des visiteurs de Club Med voyagent en avion, la volonté d’offrir une expérience carboneutre se résume à proposer aux clients une démarche personnelle de compensation. Les écocertifications dont se targue le promoteur et le reboisement promis apparaissent, dans un contexte d’urgence climatique, comme de la poudre aux yeux. On est loin du « projet écotouristique, vert et responsable », de « l’anti-resort » proposé initialement et approuvé par la population en 2005. D’ailleurs, depuis le début des travaux, deux avis de non-conformité par rapport à la Loi sur la qualité de l’environnement ont été émis et six hectares d’une érablière aux arbres centenaires ont été rasés. Un groupe de quarante scientifiques de cinq pays déclare pourtant : « Nous devons protéger et maintenir les forêts en bonne santé afin d’éviter les conséquences dangereuses du changement climatique et d’assurer que les forêts mondiales continuent à procurer leurs services cruciaux pour le bien-être des humains et de la planète2. ».
De plus, alors que des centres de villégiature pouvant accueillir un Club Med existent ailleurs au Québec, le projet prendra place dans un milieu fragile propice à l’érosion, ce que les possibles événements météo extrêmes mettront en évidence.
Manque de vision
Selon François Cardinal, journaliste à La Presse, « ce qu’il y a de plus décevant, c’est certainement l’absence d’harmonisation du complexe avec le paysage qui l’entoure ». Et que dire de la ceinture fléchée sur le mur extérieur de l’entrée principale « pour souligner l’intégration du bâtiment sur le territoire québécois »? Tellement cliché. Et le logo : une baleine! Bonne chance à quiconque d’en observer une à Petite-Rivière-Saint-François, ou aux enfants de faire la rencontre des Premières Nations, comme le p.-d. g. de Club Med Amérique du Nord le promet le plus sérieusement du monde. C’est à même cette imagerie erronée qu’on perçoit toute l’absurdité de ce projet et l’improvisation qui sert de leitmotiv à son élaboration.
1. Voir la pétition « Demande de suspension des travaux de Club Med Charlevoix » sur Change.org.
2. Climate and Land Use Alliance, Five reasons the Earth’s Climate Depends on Forests, traduit par Aleks Evtimov, octobre 2018.