
Déclaration solennelle de conflit d’amitié — et non d’intérêt, sinon pour en avoir beaucoup pour ce film —, Philippe Chaumette, le réalisateur, caméraman et monteur des Échos du moulin, et Daniel St-Pierre, le « personnage principal », sont des amis proches. J’ai même travaillé avec eux pour mes propres réalisations et je n’ai alors eu que du bien à en dire. Voilà! Cela dit, ces liens ne me feraient pas tomber dans la complaisance, et ça adonne bien : je n’en aurais nullement eu besoin pour apprécier très sincèrement les qualités de ce documentaire de 80 minutes, produit — autoproduit en fait — par Kâlibine Films.
L’idée originale des Échos du moulin provient de Jean-Philippe Catellier, initiateur des résidences d’artiste qui se déroulent depuis trois étés dans ce grand moulin vermoulu qui jouxte la rivière du Bic. Et qui dit original dit Daniel St-Pierre, charpentier naval, anarchiste, géniteur de musiciens et de cheffe cuisinière, rigoleur à haut débit et militant environnementaliste ou, devrais-je plutôt dire : « qualitédevieiste » de longue date. Philippe Chaumette et son compère preneur de son Guillaume Lévesque, qui a aussi fait les entrevues, ont su capter les échos et l’esprit de ce moulin et de ceux qui y transitent pour une résidence de création musicale et celui de son joyeux propriétaire, de son fils Olivier — un autre bon chum, à ajouter ci-haut à ma déclaration de conflit d’amitié — et de son adjoint charpentier, Pierre-Luc Morin, qui relate ici son parcours de vie pour le moins singulier dans ce moulin magique où il vit et travaille depuis 11 ans.
Philippe Chaumette a choisi le noir et blanc pour nous montrer le site : la rivière, les arbustes, les fleurs, les objets témoins et les gestes créateurs, bref tout ce qui constitue le lieu et l’esprit qui l’anime et l’habite. Oui, je sais, ça fait plusieurs fois que j’écris le mot « esprit », mais c’est conscient et tout à fait assumé. Le film aurait pu s’appeler L’esprit ou Les esprits du moulin, et son titre aurait été tout aussi juste.
La façon dont les artisans de ce film suivent en toute discrétion ceux qui en deviennent les personnages coule comme la rivière voisine du moulin, s’inspirant ainsi de la philosophie créative du cinéma vérité développée dans les années 1960 par les Pierre Perrault, Michel Brault et autres Marcel Carrière. Les « acteurs » mettent en place les matériaux de construction en faisant tout simplement ce qu’ils ont à faire en ce lieu, sans artifices, sans mise en scène, et le réalisateur et monteur Chaumette construit ensuite son film en mettant en parallèle ces joyeuses tranches de vie. Des parallèles qui convergent, précisons-le, puisqu’on entend la musique des artistes en résidence, Bon Enfant, Bernhari et Crabe, dans l’atelier de charpenterie et les alentours du moulin.
Les échos du moulin est un film tout à fait réussi qui crée rapidement un lien entre le sujet, un lieu, l’esprit qui l’habite et ce qui s’y passe, les personnages et ceux — nous! — qui le visionnons. Avec grand plaisir.