
J’souhaite pas aux p’tits jeunes une bonne guerre
Vu qu’moi j’en n’ai pas eu, à part Mai 68.
Mais j’me rappelle même plus en quelle année c’était
Ni qui c’est qu’avait gagné.
Renaud
La prise de conscience sociale d’une génération, le fantasme des enfants-rois, le germe de la révolution, une prise d’otage, la victoire de la rue, un des derniers soubresauts de la social-démocratie, la violence et l’intimidation, la montagne qui accouche d’une souris, le coup d’épée dans l’eau, le coup de grâce de l’ère Charest… Sept ans après l’éclosion du Printemps érable, les images-chocs impressionnent encore et les opinions continuent d’être divisées quant aux retombées concrètes de 2012, aux leçons à en tirer et à la portée symbolique de ce grand mouvement de manifestations.
Constats
Dans les anciennes fédérations étudiantes et autres clubs-écoles péquistes, on aime à parler de victoire : la hausse libérale a été annulée, l’aide financière améliorée et le gouvernement a perdu ses élections. Cette hausse a cependant été remplacée par une indexation qui, de facto, constitue un appauvrissement pour les étudiants puisque le coût de la vie est plus élevé que leur revenu moyen. Plusieurs ont vu cette « hausse éternelle » comme une trahison. C’est d’autant plus ironique quand on sait que Jacques Parizeau avait instauré le gel des droits de scolarité dans le but de tendre vers la gratuité grâce à l’inflation qui réduirait la part payée par les étudiants.
Le gouvernement Couillard a connu un certain succès en poursuivant la destruction néolibérale du modèle québécois, notamment en soumettant l’éducation publique à la logique du marché, mais en évitant la confrontation directe avec les associations étudiantes. Traditionnellement divisées en courants plus modérés et radicaux, celles-ci ont su en 2012 faire preuve d’une rare unité, et c’est certainement l’un des facteurs qui ont rendu cette mobilisation historique. Malheureusement, ces organisations ont naturellement une mémoire institutionnelle assez courte et peu de stabilité. Après une tentative de mobilisation désastreuse nommée « Printemps 2015 », ce qui restait de ce qu’on aurait pu appeler « le » mouvement étudiant a éclaté alors que certains se marginalisaient ou se tournaient vers d’autres causes et que d’autres se perdaient en luttes intestines. Maintenant que les grandes associations nationales sont mortes ou moribondes, je ne serais pas surpris de voir les caquistes en profiter pour redemander aux étudiants, de manière plus ou moins détournée, de « faire leur juste part ». Ces derniers ont cependant montré qu’ils étaient encore capables de se mobiliser, notamment pour la rémunération de leurs stages, brisant une fois de plus leur réputation imméritée de jeunesse nombriliste et apathique.
Quel débat?
La mobilisation de 2012 s’inscrivait en dehors du cadre classique opposant fédéralistes et souverainistes. C’était une bonne vieille lutte des classes, avec ou sans jeu de mots. Elle aura probablement contribué à estomper la question constitutionnelle de nos préoccupations politiques; la génération des carrés rouges n’a certainement pas embrassé le rêve canadien, ses principaux chevaux de bataille sont ceux des progressistes du monde entier : la justice socioéconomique, les droits des minorités, la justice climatique, etc.
De plus, Charest et Beauchamp avaient essayé d’opérer un changement de paradigme en niant la légitimité des syndicats étudiants et en enjoignant aux enseignants de briser les lignes de piquetage. On se souvient du fameux « Ce n’est pas une grève mais un boycott ».
Cette querelle sémantique aura permis d’engager, à défaut de le régler, un débat fondamental sur la valeur de l’éducation, question qui remonte à Socrate et aux sophistes. D’un côté, le savoir est perçu comme une marchandise que l’enseignant transmet à un étudiant qui en bénéficie personnellement; on s’attend donc à ce que ce soit ce dernier qui débourse. De l’autre, le savoir est perçu comme un bien collectif, que l’étudiant obtient par son travail, au bénéfice de la Cité; en ce sens, il est normal que cette dernière s’assure de le rendre accessible. Depuis 2012, aucune discussion sérieuse sur l’éducation au Québec ne peut tenir l’une ou l’autre de ces conceptions comme une évidence a priori.
Espérances et méditation
Malgré ce bilan doux-amer, on doit reconnaître que ces événements ont marqué les esprits. De Je me souviendrai à La Chaleur des mammifères en passant par Fermaille, Colonisés, La Faute à Gabriel ou Ceux qui font les révolutions…, nos artistes y ont vu un prisme ou un terreau pour réfléchir à notre destin en tant que peuple. Mais ce genre de méditation peut prendre du temps. À gauche, on s’entend généralement pour dire, ne serait-ce que pour avoir fait éclore ou raviver certains espoirs, que ça aura valu le coup de faire vaciller l’hégémonique discours néolibéral. On a entrevu pendant ces mois de mobilisation qu’un autre monde était possible, un monde où, avant d’être de vulgaires consommateurs ou de bêtes individus atomisés, on est d’abord des citoyens, et qu’ensemble on est puissants.