Le pouvoir est une bête anthropophage qui finit bien souvent par consumer celui-là même qui l’exerce. À vouloir posséder un ascendant sans limites sur les êtres et les choses qui nous entourent, on les réduit, on les soumet, on les écrase pour finalement chercher à les détruire dans une apothéose délirante dont on devient soi-même l’ultime victime. C’est Néron incendiant Rome, Hitler qui a voulu faire de même en brûlant Paris dans la débandade (un terme tout à fait approprié!) de la fin de l’Occupation. Plus près de nous, voyez l’empereur Trump dont les propres enfants risquent d’être phagocytés par la mégalomanie et la vanité de leur insatiable paternel. Et sur une échelle planétaire, n’est-ce pas cette même vision d’un pouvoir absolu cherchant à contraindre le moindre élément de la nature qui nous mène aux rives d’une apocalypse dont les premières manifestations commencent à peine à se faire sentir?
En première ligne, ce sont le plus souvent les femmes qui sont la proie de ces êtres sans scrupules dont les méfaits peuvent culminer de la maltraitance au viol. Et que la Justice reconnaisse ou non le crime, qu’on ne puisse parvenir à établir la preuve hors de « tout doute raisonnable », il n’en demeure pas moins que dans le sillage de ces prédateurs qui se sont crus au-dessus de tout, après les abus de ces mâles alpha sans vergogne, les victimes en lambeaux poursuivront une existence post-traumatique névrotique où les gestes qu’on a posés sur elles vont les hanter sans répit et où la méfiance face à l’autre sèmera le germe d’une constante paranoïa. De son côté, descendu de son piédestal, le roi frondeur continue à faire la baboune, se sert encore une fois de la puissance et de la richesse qu’il a acquises pour se payer les meilleurs avocats, cherche à rejeter la faute sur l’inconséquence de ces aguicheuses aux chandails trop moulants ou à la jupe trop courte dont pourtant notre société du spectacle s’entiche et se repaît depuis des décennies.
Là où le pouvoir n’est pas balisé, où les caméras n’ont pas accès, où le laxisme des têtes dirigeantes frôle la complicité criminelle, dans les orphelinats, les couvents, les presbytères, les gymnases, les bureaux de la direction, partout où les personnes « en situation d’autorité » peuvent ou ont pu sévir en toute impunité, on risque de voir apparaître un terreau fertile où les mains baladeuses ont beau jeu et cherchent à se frayer un chemin, une plage idéale où le chantage et la manipulation s’épanouissent comme de vilaines fleurs du mal, et où des enfants, des adolescents, des êtres au seuil de la première éclosion du bonheur voient leur âme et leur innocence broyées à tout jamais.
Non, la justice humaine n’est pas toujours à la hauteur de cette criminalité rampante, voilée, qui s’exerce sans témoin autant dans le sous-sol d’un bungalow de banlieue qu’entre les murs capitonnés d’un cabinet sis au soixantième étage d’un gratte-ciel de Manhattan. Et qu’il s’agisse des pontifes de l’Église catholique, des bonzes de telle fédération sportive, ou des dirigeants de telle ou telle société cotée en bourse, on utilisera bien souvent tout l’arsenal dont bénéficient ces puissantes instances pour réduire à néant le témoignage d’une innocente victime, la traîner dans la boue, ternir sa réputation, et finalement la réduire à l’opprobre et à l’impuissance. Et l’on continuera à tenir des sermons du haut de la chaire de l’église d’une paroisse voisine, on encouragera une jeunesse d’élite à poursuivre sa carrière avec un entraîneur dont on se doute fort bien qu’il n’est pas « étanche », on se pavanera encore dans les cocktails, les galas, les soirées mondaines, un verre de champagne à la main et la gloriole bien en vue épinglée au revers de son costard.
Et on aura au bout du compte construit un empire du rire pas tellement rigolo, en partie financé par les fonds publics, en semant derrière soi la honte et la désolation, en détruisant des vies, en abusant de femmes pourtant fortes, intelligentes, créatives. On aura éteint chez elles cette petite flamme qui fait qu’en tout temps on peut garder espoir en la nature humaine et ne pas craindre d’avancer dans la vie toutes voiles dehors et le vent en poupe, dans la confiance et la sécurité. On se sera finalement gavé de la chair même de ces femmes, sans leur consentement, juste pour jouir.