
L’idéal, d’aucuns diront plutôt l’utopie, de la décroissance est de plus en plus discuté depuis quelques années. Nous avons collectivement pris conscience des impacts sur l’environnement, notamment de notre consommation effrénée. Que se passerait-il si, du jour au lendemain, nous réduisions tous radicalement notre consommation?
Notre économie s’effondrerait, tout simplement. Les dépenses de consommation des particuliers représentent environ 60 % de l’économie du Québec. Ce à quoi il faut ajouter les dépenses et les investissements des entreprises et de l’État (et de nos clients à l’étranger). Somme toute, l’ensemble des biens et des services que nous produisons est consommé, d’une manière ou d’une autre, par définition. Les ménages privés sont le premier moteur de cette consommation et s’ils la réduisaient brutalement — ça ne prend pas un docteur en économie pour le comprendre — les conséquences seraient dévastatrices.
Même un faible ralentissement de la consommation serait néfaste pour l’économie, puisque celle-ci carbure à la croissance. Année après année, le capitalisme doit produire davantage pour assurer sa survie. Si on produit et consomme moins, l’économie entre en récession, voire en dépression. Le chômage augmente, la population s’appauvrit et, si rien ne change, on fait potentiellement face à une spirale descendante sans fin.
Sortir du capitalisme?
Sur les plans politique et économique, la décroissance du système dans lequel nous nous trouvons est tout simplement utopique. C’est la raison pour laquelle les « décroissancistes » cohérents prônent non seulement la décroissance, mais la sortie du capitalisme. Autrement dit, il est impossible d’envisager la décroissance dans un système capitaliste, ce serait une contradiction dans les termes.
Plus facile à dire qu’à faire, bien évidemment. Dans le climat politique actuel, on voit difficilement poindre une révolution d’envergure. Peut-être est-ce la planète qui nous forcera à la faire? Il serait bien présomptueux de prédire l’avenir : depuis 250 ans, le capitalisme a montré qu’il avait plus d’un tour dans son sac pour se préserver.
Quoi qu’il en soit, on nous savonne régulièrement les oreilles d’un discours empreint autant de bons sentiments que de condescendance en affirmant que les « petits gestes » individuels seraient tout aussi importants que les changements systémiques et structuraux pour sauver la planète. Recycler, consommer des produits locaux, acheter des aliments bio et, plus généralement, moins consommer.
Budget
Là aussi, plus facile à dire qu’à faire, à moins que vous soyez très bien nantis. Examinez votre budget mensuel et essayez de trouver les dépenses que vous pouvez réellement réduire. Dépenser moins pour le logement, qui représente en moyenne 26,6 % du budget des ménages québécois? Il serait étonnant que vous réussissiez à convaincre votre propriétaire de diminuer votre loyer ou votre banquier, votre hypothèque. Déménager dans plus petit? Peut-être, mais vous en connaissez beaucoup, des familles qui ont véritablement de trop grands logements pour leurs besoins?
Deuxième poste budgétaire des ménages : le transport, qui pèse pour 18,4 % des dépenses. Pour certaines familles, il peut être envisageable de moins utiliser la voiture et de prendre les transports publics. Mais encore là, étant donné l’offre souvent inadéquate (à moins d’habiter au cœur des quelques grandes villes du Québec bien desservies), c’est tout simplement impossible pour un grand nombre d’entre nous.
Finalement, l’alimentation, qui représente 16,2 % du budget familial. Il est possible d’acheter moins d’aliments transformés et de plats préparés, qui coûtent plus cher que ceux cuisinés à la maison (et qui ont une empreinte écologique plus grande en général). Là également, on peut difficilement couper de façon draconienne dans nos dépenses, à moins de cultiver un potager, ce qui est impossible pour la plupart des citadins, qui comptent pour la majorité de la population.
Ces trois postes de dépense représentent presque les deux tiers du budget moyen des Québécois (61,2 %). Le reste n’est que broutilles. Les vêtements et les accessoires associés, par exemple, ne représentent que 5,5 % des dépenses familiales. Acheter un chemisier de moins ne changera pas grand-chose. La vaste majorité d’entre nous peut difficilement réduire ses dépenses, à moins de changer radicalement de mode de vie.
Le luxe du simple
Seuls les biens nantis peuvent se permettre le luxe de la simplicité volontaire. Pas pour rien que le journaliste français Hervé Kempf affirmait, dans un célèbre article paru dans le Monde diplomatique il y a dix ans, que ce sont « les riches qui détruisent la planète ». Pas que le fameux 1 %, mais la classe moyenne supérieure. Ces familles qui ont deux VUS stationnés dans les garages doubles de leurs gigantesques maisons de banlieue. Or, puisque leur statut social repose justement sur ce que Veblen appelait la « consommation ostentatoire », ce n’est pas demain la veille qu’ils changeront leurs habitudes de consommation.
La solution est donc collective, politique. Mais ce n’est pas demain la veille que nous assisterons au Grand Soir de la décroissance.