
Je connais peu de gens avec qui il m’est possible de parler pendant des heures de culture sans jamais me lasser. Je ne veux pas dire que les gens qui m’entourent sont ennuyants, mais que, généralement, ils ne me transmettent pas leur passion avec verve et fracas. Du moins, pas au point où je veux remplir des pages de mon cahier avec des titres de films et de livres dont je me promets d’absorber le contenu au courant de la semaine suivante. Thomy Laporte a le talent de créer ce besoin en parlant de films comme Le chat dans le sac de Gilles Groulx ou Stalker d’Andreï Tarkovski. Quand Le Mouton Noir m’a proposé de le rencontrer pour parler de son prochain court-métrage Marie d’Amérique, j’ai tout de suite dit oui.
Anthony Lacroix – Commençons par la plus grosse question : comment se passe la création de Marie d’Amérique en ce moment?
Thomy Laporte – Les cinq jours de tournage sont terminés depuis quelques mois, mais il me reste encore tout le travail de postproduction à faire. À ce moment-ci, je pourrais faire trois films différents, mais je suis un peu bloqué.
A. L. – As-tu peur de ne pas être fidèle à tes idées de départ?
T. L. – Marie d’Amérique, c’est plusieurs semaines de travail, mais c’est surtout beaucoup d’années de réflexion et de prises de notes. Nous avons passé plusieurs jours à placer les déplacements et à travailler le texte avec l’actrice qui devait jouer le premier rôle. Finalement, à quelques heures du tournage, est arrivé ce qui peut arriver de pire à un réalisateur : j’ai perdu mon actrice principale.
A. L. – Qu’est-ce que tu as fait?
T. L. – J’ai été pris en charge par mon équipe. Moi, j’étais en catatonie. C’est Valérie Mongrain, armée du carnet noir d’Eudore Belzile, qui a pris la situation en main et c’est finalement ma copine, en fouillant sur YouTube, qui a pensé à l’actrice Marie-France Marcotte. Moins de vingt-quatre heures après la nouvelle, le problème était réglé.
A. L. –Ça veut dire que ton plateau est devenu UDA?
T. L. – Oui, ça veut dire de nouveaux horaires de tournage, revoir les budgets et beaucoup de paperasse, mais pour travailler avec Marie-France, c’est un moindre mal. C’est une actrice de grand talent. J’ai été incroyablement chanceux de pouvoir travailler avec elle.
A. L. – Qu’est-ce qui a motivé un projet comme Marie d’Amérique?
T. L. – Mon projet est de filmer l’état d’un personnage vivant un moment difficile et où la pauvreté poétique du quotidien, la dépendance et la culpabilité sont un frein à son émancipation. Marie d’Amérique sera un film sur la rupture sociale et son état de déréliction, dans lequel la posture a priori austère du personnage laisse tout de même entrevoir de la douceur et de la vulnérabilité. Mais surtout, c’est un film voulant signifier le besoin du rapport à l’autre et les avenues possibles, souvent insoupçonnées, que la communauté peut offrir.
A. L. – J’ai lu que tu as déjà fait une technique en éducation spécialisée, est-ce que cette formation influence beaucoup ton travail de cinéaste?
T. L. – Oui. J’ai un parti pris favorable à l’égard de ces gens qui choquent, qui ébranlent, qui se débattent, qui nous forcent à voir cette vérité selon laquelle parfois la vie ne va pas de soi. Enfin, je veux continuer à témoigner des vies en marge et en rupture avec le soi-disant ordre naturel.
Marie d’Amérique sera la deuxième pièce d’un triptyque entamé avec Héritage (2013). Nous y rencontrerons le territoire de Rimouski, mais surtout l’humain. L’humain avec ses failles, sa fragilité, mais aussi l’humain qui se permet l’espoir. Le court-métrage devrait être projeté au courant de l’année 2019.