
Ce n’est pas parce que la poussière des récentes grèves étudiantes est retombée et que les figures médiatiques qui y ont participé se sont recyclées dans le monde politique que ça ne s’active plus au sein du mouvement étudiant. Au contraire, depuis deux ans, des étudiants et des étudiantes principalement de Québec, de Sherbrooke, de Gatineau et de Montréal préparent une mobilisation offensive pour la rémunération de tous les stages. Le tout a débuté par le retour d’une vieille idée, le salaire étudiant, sortie des boules à mites par un petit groupe à l’origine de ce qui deviendra les Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE). La revendication du salaire étudiant met de l’avant le fait que le travail étudiant mérite d’être reconnu, et donc que les étudiants ne sont pas de simples consommateurs ou consommatrices de formation. La population étudiante accomplit un travail de formation, créateur de richesse collective, trop souvent invisible, voire ridiculisé par les élites politiques.
Vers une grève pour les stages
En s’organisant de manière décentralisée, les comités autonomes mettent en place, selon les ressources et la culture régionale, des activités de mobilisation en vue d’une grève qui se dessine à l’hiver 2019. Pour rappeler au gouvernement que les stagiaires ne sont pas prêts ni prêtes à lâcher le morceau, le 21 novembre prochain, plusieurs comités et associations étudiantes tiendront une journée de grève. Un ultimatum est ainsi officiellement lancé au gouvernement pour qu’il instaure un programme universel de rémunération des stages, à ne pas confondre avec une compensation financière négociée à la pièce.
Assurément, le travail étudiant ne revêt pas le sens usuel de travail, même si aujourd’hui, poursuivre une formation postsecondaire (professionnelle, collégiale ou universitaire) est moins un choix personnel qu’une obligation pour être employable. De là a germé l’idée de s’attaquer à la partie la plus visible du travail étudiant, la pointe de l’iceberg de l’exploitation étudiante, les stages non rémunérés. Et du travail gratuit, il y en a plus que jamais dans un contexte de restructuration du marché de l’emploi et des compressions budgétaires. Ici, comme ailleurs, on coupe dans les ressources humaines et matérielles, en favorisant le financement par projet. Des projets réalisés avec l’aide de qui? De stagiaires! Le ou la stagiaire possède toutes les caractéristiques du salarié, mais sans le salaire et les droits, ni la protection par la Loi sur les normes du travail. Ce sont donc les organisations communautaires et les services publics qui subissent principalement les contrecoups, tout en créant une nouvelle catégorie de travailleurs et de travailleuses pour qui la précarité sera maintenant la norme.
L’exploitation n’est pas une vocation
Cela dit, les stagiaires ne travaillent pas tous gratuitement. À l’heure actuelle, les stages non rémunérés se trouvent majoritairement dans les domaines des soins, des arts, de la culture, des domaines à forte prédominance féminine, dont les moins bonnes conditions de travail sont souvent justifiées par la vocation, le dévouement ou l’amour. Depuis le début de la campagne, il devient de plus en plus complexe de justifier la rémunération des stages uniquement dans des domaines comme la médecine, le droit ou le génie. Ainsi, la revendication d’une rémunération des stages vise aussi à briser l’association entre travail gratuit et femmes. Le mouvement international de grève des femmes lancé au printemps 2017 a d’ailleurs inscrit dans ses revendications la rémunération des stages. Mais ce n’est pas tout. À partir du moment où l’on reconnaît que les stages sont impayés parce qu’ils correspondent à des secteurs d’emplois traditionnellement et majoritairement féminins, et non principalement parce que les stagiaires sont en processus de formation, il est difficile d’accepter la gratuité de l’ensemble du travail effectué durant les études. En effet, on dénote actuellement de nombreux stages payés dans plusieurs domaines, mais également plusieurs situations ou des étudiants et des étudiantes sont payés pour suivre une formation (prison, aide financière aux études, bourses, services d’employabilité, etc.).
Même s’il est nécessaire d’exiger la gratuité scolaire, la précarité des conditions de travail commence dès les études, c’est pourquoi les étudiants, les étudiantes, les salariés et les salariées doivent ensemble s’organiser pour s’assurer de meilleures conditions. Entrevoyons la grève à venir comme une occasion de créer une solidarité interprofessionnelle régionale pour contrer les attaques des services publics et communautaires et revaloriser l’ensemble des professions visées sur le marché du travail.
Pour plus d’information, consultez la page Facebook de CUTE (Campagne sur le travail étudiant) ou la Plateforme réflective étudiante (//dissident.es/).