
La revue Continuité rapportait dans son dernier numéro que la montée des eaux mettait en danger des lieux historiques comme la forteresse de Louisbourg en Nouvelle-Écosse ou des éléments témoins de notre histoire comme les aboiteaux du Kamouraska, plusieurs cimetières, des maisons ancestrales. De scénarios hypothétiques, on est passé à des préoccupations très concrètes et à des dépenses majeures : 20 millions de dollars ont par exemple été investis pour restaurer le secteur de la plage de Percé assailli par plusieurs tempêtes.
Selon le comité ZIP du Sud-de-l’Estuaire (Zone d’intervention prioritaire), il est faux de croire qu’il n’y a rien à faire pour se protéger des assauts de la mer. Pour Étienne Bachand, directeur adjoint à la ZIP, « il y a différentes façons de réagir à l’érosion : on peut choisir de s’en aller, dans certains cas, c’est inévitable. On peut lutter ou tenter d’adapter notre façon de vivre au bord du fleuve. » Au Québec, 12 comités ZIP, répartis le long du Saint-Laurent, travaillent à la préservation de la santé du fleuve et à sa mise en valeur.
Le comité ZIP du Sud-de-l’Estuaire, qui couvre la côte de Montmagny aux Méchins, a au départ axé ses interventions sur l’accès au Saint-Laurent (Route bleue) et sur la sensibilisation aux risques côtiers mais, selon Françoise Bruaux directrice, 2010 a marqué un point tournant : « On commençait à faire de la restauration, par exemple à l’embouchure de la rivière Mitis, mais après la tempête de 2010, on a décidé que notre cheval de bataille serait la réhabilitation des écosystèmes côtiers. » Il faut savoir qu’au cours des 60 dernières années, en raison de la construction de la 132 et des villages, 50 % des marais le long du Saint-Laurent ont disparu, alors que la présence de plages en santé, de marais de bonne envergure et d’herbiers aquatiques sert de tampon quand le fleuve se déchaîne. Ces milieux servent également d’habitats aux petits poissons et à toutes sortes d’espèces dont se nourrissent les plus grandes, comme le béluga. Au Québec, comme 80 % de la population vit au bord du Saint-Laurent, toute protection d’un habitat côtier a un effet indirect sur nos infrastructures.
Savoir restaurer
La restauration des berges est une pratique plutôt récente. La ZIP du Sud-de-l’Estuaire, une pionnière en ce domaine, recourt à des techniques « douces » qui respectent le fait que les côtes sont des écosystèmes meubles. Beaucoup reste à faire pour implanter l’idée qu’une structure rigide exacerbe l’érosion. Françoise Bruaux et Étienne Bachand : « Il a fallu qu’on travaille sur le sentiment de protection. Les gens pensent qu’un enrochement, parce que c’est solide et gros, va les protéger, mais les chercheurs de l’UQAR entre autres ont démontré qu’en plus de dégrader les paysages, l’enrochement peut créer plus de problèmes et pas nécessairement protéger. Certaines municipalités commencent à l’interdire. En 2010, beaucoup de permis d’enrochements ont été émis rapidement et parfois inutilement. »
Pour chaque projet, le comité ZIP passe par une phase de caractérisation physique et biologique de la zone à restaurer de façon à comprendre le déplacement de l’écosystème et choisir les types de sédiments à ajouter et les espèces indigènes à forte densité racinaire à implanter. Le monde municipal contribuera financièrement et humainement à 30 % des projets et aura si nécessaire une recharge d’entretien à faire. Ce travail avec le milieu fait en sorte de mieux faire connaître les interventions de la ZIP qui au final ne laissent pas de traces : sans être à toute épreuve, une restauration redonne à la côte son aspect naturel et une capacité d’absorber la force des vagues.
Fonds
Le Fonds de la restauration côtière de Pêches et Océans versait en février à la ZIP du Sud-de-l’Estuaire 2,4 millions de dollars pour restaurer les habitats côtiers du capelan, de l’éperlan arc-en-ciel, de l’épinoche et du hareng dans cinq secteurs : Saint-Ulric, L’Isle-aux-Grues, Rivière-Ouelle, Trois-Pistoles et Notre-Dame-du-Portage. Il s’agit de la plus grosse subvention dédiée à la restauration côtière issue de ce fonds pour tout le Québec. Si la ZIP a obtenu cet argent, c’est parce que son expertise est reconnue par ses partenaires et qu’elle a su, pendant les années difficiles du gouvernement conservateur, contrairement à d’autres organismes environnementaux, garder en vie une petite équipe. « Le climat a vraiment changé récemment, mais on reste beaucoup trop dépendant de la politique. Beaucoup de comités ZIP perdent leur personnel, alors que c’est la stabilité qui fait qu’on développe une expertise. »
Pour conclure, Christian Hubert, agent de sensibilisation, rappelle que, même si toute notre attention est souvent tournée vers les perturbations climatiques, la côte, ce n’est pas que ça! En ce sens, le projet Web Côtes-à-Côtes vise à créer une communauté de citoyens qui échangent des observations de toutes sortes sur le littoral : des menaces certes, mais aussi la présence d’espèces rares ou la pratique d’activités typiquement côtières, des observations qui témoignent de la fragilité et de l’importance des habitats côtiers.