
Lauréate en 2011 du prix Jovette-Bernier décerné par le Salon du livre de Rimouski pour son premier roman Marie Major, Sergine Desjardins, qui signe également le diptyque Isa, vient confirmer de nouveau son talent d’auteure avec Le châtiment de Clara, paru en avril dernier chez Guy Saint-Jean Éditeur.
Dans la France du 17e siècle, Clara jouit d’une vie heureuse et rêvée, où elle partage son temps entre son mari médecin, son fils Cédric et les salonnières qu’elle fréquente, jusqu’au jour où elle est violée, dans sa propre maison, par un collègue de son époux. Brisée, honteuse, aux prises avec une amnésie angoissante, Clara devra affronter les séquelles de l’horrible agression dont elle a été victime. Cette femme violemment maltraitée tentera de défendre sa cause et son intégrité devant une cour qui ne reconnaît pas les droits des femmes à une époque où le mot « viol » n’existe pas.
Il faut absolument souligner la qualité du travail de recherche qu’effectue Sergine Desjardins pour préparer l’écriture de chacun de ses romans. Pour Le châtiment de Clara, elle a consacré plus de deux ans à la lecture d’une multitude d’ouvrages historiques sur le viol, la France du 17e siècle et son système de justice. La curiosité et l’intérêt insatiable de l’auteure pour l’histoire de la condition féminine témoignent d’une réelle passion et du souci maniaque de s’assurer de la fidélité des mœurs et de la législation de l’époque dans son cadre romanesque. En ce sens, l’écriture au « je », privilégiée par l’auteure, s’avère le véhicule idéal pour accéder à la complexité émotionnelle du personnage de Clara et crée un bel équilibre avec l’aspect historique bien étoffé.
Dès les premières pages de l’œuvre, le lecteur pressent que la voix puissante et inébranlable de Clara s’inscrit dans une désolante tradition de femmes violentées, comme le souligne lui-même le personnage : « C’est comme si les voix de toutes les femmes violées, battues, méprisées et humiliées réclamaient de moi une vengeance. Une vengeance que je ne pourrai assumer : je sais bien que je n’aurai jamais le courage de dénoncer ces hommes […]. » Il faut rappeler qu’à cette époque, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la victime.
La parution de ce nouveau roman de Sergine Desjardins n’est pas sans rappeler les affaires présumées d’agressions sexuelles qui ont récemment marqué l’actualité. DSK, Cosby, Ghomeshi : les cas de viol et de violence faite aux femmes sont encore trop nombreux à notre époque, malgré toutes les campagnes de sensibilisation. Certes, la culture du viol et la notion de consentement sont des concepts qui commencent à circuler dans le discours public et à faire leur chemin dans les mentalités québécoises, mais force est de constater que les parallèles entre le Paris du 17e siècle et notre époque sont troublants : les femmes, qu’elles soient servantes en 1688 ou étudiantes en 2016, demeurent reléguées au rang d’objets et sont soumises à un patriarcat intransigeant. Peu importe l’époque, les femmes ressentent les mêmes hontes, les mêmes peurs et doivent affronter à la fois le regard de l’agresseur et celui d’une justice et d’une société qui remettent en question leur crédibilité, leur honneur et leurs blessures profondes.
En somme, Le châtiment de Clara est une œuvre nécessaire qui permet de continuer à cultiver l’indignation et d’éduquer, par une incursion dans le passé, les générations futures.