« Chaque atome de silence
Est la chance d’un fruit mûr »
— Paul Valéry
D’abord éteindre l’écran cathodique, fermer la radio. Oublier le saccage de la planète, le terrorisme, la guerre, la souffrance des enfants, des femmes, des exclus, et surtout cette xénophobie latente de mauvais augure. Appuyer sur pause. Faire la sourde oreille pour que cessent jusqu’aux bruits parasites. Ensuite, laisser émerger du silence une douce quiétude, comme une fine brume matinale au-dessus d’un lac. Yang sheng, dit la sagesse taoïste. Nourrir en soi la vie.
Humer longuement la brise, qui amène tantôt une odeur d’iode, tantôt celle des conifères. Inspirer l’air cristallin en pensant avec gratitude qu’ici, il n’y a aucune pollution industrielle. Un luxe.
Contempler au jardin le temps qui passe
Le magnolia en fleurs, les sanguinaires, les pulmonaires, le lilas, le muguet présagent l’été. Et l’exubérante rhubarbe! Dans les plates-bandes se succèdent primevères, narcisses, tulipes, iris, capucines, delphiniums, hémérocalles, hydrangées, chrysanthèmes et tournesols. Roses trémières, roses rustiques, roses mousseuses : « La rose, dit Angelus Silesius, est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit […] et ne se demande pas si on la voit. »
Prendre le thé dehors un jour où les lourdes pivoines s’éclatent et embaument. Cueillir quelques fraises chauffées au soleil du matin, ensuite ce sera les amélanches, les framboises, les prunes. Durant les heures trop chaudes, s’abandonner à une lecture paresseuse bien calée dans un hamac. Bourdons et colibris. Écouter le vent dans les feuilles annoncer la pluie nourricière.
Célébrer la patience du maraîcher
Génie de la terre, chefs d’œuvre du potager. En primeur, les asperges : vapeur avec un œuf poché; pour accompagner un homard mayonnaise; ou simplement grillées, arrosées d’un filet d’huile et de tamari.
Suivent les premières laitues, à garnir de fines herbes, de feuilles de pourpier, plus tard de fleurs : pensées, capucines ou soucis. Sans oublier, avec chèvre chaud, miel et lavande.
Les tendres courgettes, en larges rubans, à peine sautées, garnies de feta et de ciboulette, ou encore de tomates cerises, fleurs d’ail et estragon. Et pourquoi pas en juliennes garnies de câpres, d’olives, d’oignons verts et de thym frais.
Petits navets blancs à croquer tels quels ou tranchés minces, à la croque au sel ou au gomasio. Beurrée de radis au pain de mie. Tartare de concombre et fraises, avec mélisse et menthe verte. Poireaux vinaigrette. Taboulé citronné avec menthe poivrée et persil plat. Salade de betteraves chioggia à l’orange et au basilic. Bette à carde au lait de coco et cari. Raïta de concombre avec yogourt de brebis et ciboulette à l’ail. Bâtonnets de chou rave et sauce sésame; hosomaki de concombre et crevettes nordiques.
Haricots verts servis croquants avec lardons, échalotes et noix de Grenoble; haricots plats préparés comme des pâtes Alfredo. Oignons cipollini rôtis et origan. Spanakopita pour célébrer l’épinard, okonomiyaki pour le chou. Petits pois à la française. Brocolis aux amandes. Fenouil braisé au parmesan. Couscous de chou-fleur aux raisins secs et piment d’Alep. Crêpe vietnamienne avec shiso. Courge delicata farcie à l’agneau et romarin. Aubergine grillée, ail et tomates confites. Petits farcis ou tian à la provençale. Peperonata ou caponata. Légumes racines grillés. Linguine aux tomates crues : de l’huile d’olive chaude, bien aillée, versée sur des tomates mûres assaisonnées de quelques gouttes de vinaigre balsamique, avec des pâtes al dente, du poivre et du basilic ciselé.
Et le chou romanesco si beau qu’on hésite à le manger, mais délicieux servi vapeur avec du muhammara.
Goûter le fleuve, savourer l’été
S’étendre sur le sable chaud pour écouter la marée montante et les cris de joie des enfants. Ramasser de la salicorne, des laminaires, des cailloux. Faire voler un cerf-volant. Marcher sur la plage au baissant du jour. Se régaler d’un BLT au homard à la cantine de Saint-Fabien après une excursion au parc du Bic ou d’un poisson-frites à Sainte-Flavie en revenant des Jardins de Métis. Ou encore, s’offrir la totale chez Saint-Pierre.
Sur un air de Brel, vivre et laisser vivre « pour que l’été ripaille » quand « la chaleur se vertèbre » et qu’« il fleuve des ivresses…».
Sous les nuages, les merveilleux nuages, coule et s’écoule le grand fleuve. « Je viens chercher vivant le calme du Léthé », disait Lamartine. Pour surmonter le désenchantement, il faut parfois pratiquer l’art de l’oubli afin d’inscrire au fin creux de la mémoire l’essentiel. La vie. Une goulée d’air à la fois.